La nouvelle agence nationale de cohésion des territoires et l’agenda rural du gouvernement peuvent-ils constituer le socle d’une vision d’avenir pour la ruralité ? Evidemment non !

Alors que nous sommes à la croisée des chemins, ces deux décisions gouvernementales renvoient à l’idée d’une ruralité condamnée à la sclérose, maintenue en état par des soins palliatifs plutôt qu’engagée sur le chemin de sa renaissance. Ces deux décisions ne répondent pas à la question désormais incontournable de l’utilité de la ruralité en définissant les pré-requis indispensables pour qu’elle soit compétitive. A défaut, elle est condamnée.

En effet, la ruralité n’est pas qu’un coût, qu’une charge pour le Pays. Elle doit être considérée comme un investissement d’avenir notamment au regard des nouveaux modèles de développement à construire, soutenables au plan environnemental. Il y a urgence à prendre en compte le rôle central de la ruralité dans la cohésion et l’équilibre de notre collectif national. Il y a urgence à lui appliquer une cure de jouvence, à la régénérer afin qu’elle devienne une ruralité moderne et offensive. Raisonner ainsi, c’est respecter la ruralité ! 

Le gouvernement doit répondre à ces questions sur le fond ! Avec son ANCT parisienne, l’Etat prouve une nouvelle fois qu’il ne fait pas l’effort de réviser en profondeur ses dogmes dépassés alors qu’il l’a fait pour les métropoles.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il ne faut pas opposer urbain et rural mais l’Etat par l’absence de réflexion étayée sur le monde rural nourrit cette opposition. C’est ainsi que le ressentent les acteurs ruraux qui, c’est vrai, doivent arrêter de tout attendre de l’Etat. L’ANCT qui recycle trois organismes d’Etat existants est fondée sur l’idée d’un « Etat facilitateur ». Une nouvelle fois, on assiste à une opération de communication qui laisse croire que l’Etat jacobin, en bricolant à la hâte une structure de 331 salariés parisiens, pourra agir au profit des très nombreux acteurs ruraux. 

Comment expliquer que la technostructure de l’Etat se trompe à ce point sur les solutions à apporter ? Tout d’abord, parce qu’elle méconnaît la ruralité qui apparaît peu dans les statistiques INSEE et sur les cartes officielles. Ces dernières sont au service d’une idéologie urbaine dominante avec une définition extrême de la ville.

On déplore aussi un déficit de réflexion théorique. Très longtemps, le monde rural a été considéré comme un bloc agricole déconnecté de tout. Puis au fil du temps, il a été classifié et sous-classifié uniquement en fonction de sa relation à la ville sur la base d’un modèle spatial centre–périphérie dans lequel l’espace rural est dominé, sous influence. C’est un résidu qui aurait peu de chance de se développer sans la ville. Or, de nombreux éléments infirment cela. Le « poids » de la ruralité est sans cesse minoré et sa diversité n’est pas prise en compte. Il faut donc déconstruire ces caricatures statistiques pour remettre le rural sur les cartes comme a pu le faire Christophe GUILLY avec son indice de fragilités sociales faisant émerger ainsi une France périphérique jusque là invisible.

Il convient aussi de construire de nouveaux indicateurs qui mettent en lumière les richesses du monde rural en lien avec les biens communs naturels (air, eau, forêt, biodiversité : les aménités rurales !) et sociétaux (temps, cadre de vie, relations sociales, faire société…). Dès lors, on rééquilibre le rapport de force avec les métropoles et dans la conduite des politiques publiques, de nouvelles formes de réciprocité entre l’urbain et le rural, deviennent possibles. Une telle approche est bien loin de la vision actuelle de l’Etat jacobin.

Le déficit de matière grise dans le monde rural, pourtant si essentielle au sein de la société de la connaissance, est une réalité que le désengagement de l’ingénierie d’Etat ces vingt dernières années et ce, de manière sournoise, sans l’avouer, en l’habillant, amplifie fortement. Les élus locaux connaissent bien cette situation terriblement pénalisante mais le grand public n’en a pas vraiment conscience. Là aussi, des pans entiers d’expertise se sont évaporés laissant les communes et les communautés de communes rurales désemparées. Plus de cinquante départements ont œuvré pour palier ce désengagement de l’Etat en créant des agences techniques, ni plus ni moins, des DDE du 21ème siècle. L’Etat ferait beaucoup mieux de consolider juridiquement ce modèle plutôt que venir brouiller le message avec l’ANCT !

 L’Etat doit être jugé sévèrement car il fait semblant de s’occuper de tout mais ne dispose plus des moyens humains nécessaires dans les territoires ruraux. Ce constat est sans appel et le gouvernement essaie d’y apporter une réponse via la création de l’ANCT avec ses 331 salariés parisiens et le Préfet comme délégué départemental. Qui peut bien penser que ce dispositif pourra être utile sur le terrain et pas seulement dans les discours pour faire aboutir des projets locaux en Haute-Saône ou en Ariège ou ailleurs, comme la sécurisation d’une entrée de village, la réhabilitation d’un ilot dégradé en contre-bourg, la construction d’une station de traitement d’eau potable ou bien encore d’une crèche…
L’Etat doit reconnaitre que ce n’est pas lui qui détient la réponse. Il doit se recentrer sur ses missions régaliennes et inciter les collectivités à s’organiser avec efficacité pour le reste de l’ingénierie. Ainsi, une partie des moyens humains affectés par l’Etat à des compétences qu’il n’arrive plus à exercer en milieu rural doit être intégrée directement dans les collectivités locales. On imagine ce que cela pourrait produire avec une trentaine de cadres et techniciens en plus au service des Conseil départemental et du bloc local en Haute-Saône. Ce serait un magnifique accélérateur de projets !

Ce n’est pas d’un agenda médiatique ou d’une énième agence parisienne dont a besoin la ruralité. Adossée à un diagnostic rigoureux et sans concession, elle a besoin d’une ambition nationale avec des mesures rapides pour créer un électrochoc qui donne un sens, un chemin pour de plus profonds changements.