Bien entendu, toute l’énergie du Pays doit être tournée en direction de la gestion de crise sanitaire et l’organisation de la reprise de l’économie… Mais comment ne pas saisir dans cette crise l’extraordinaire potentiel de la ruralité pour inventer les solutions rapides et énergiques dont notre Pays a besoi ?

Comme toutes les crises, celle que nous traversons présente la particularité de poser un effet loupe sur des évolutions structurelles. Elle met en lumière sur un temps très court et avec une intensité fantastique quatre tendances majeures que nous avions identifiés dans notre essai « Ruralité : stop ou encore ? ».

La première est sans conteste la très délicate mise en oeuvre dans les villes (surtout les grandes et les métropoles) de la distanciation sociale visant à contrecarrer la propagation du virus puisque les citadins sont « les uns sur les autres… avec des transports en communs bondés », comme le souligne Joel Kotkin de l’Université Chapman (USA) dans Quillette (magazine en ligne). Ce dernier avance également que « pour l’instant, dans le monde, les zones rurales ont été largement épargnées en citant des professionnels de santé américains pour qui les campagnes nord-américaines sont avantagées parce que l’habitat y est plus éparpillé et les contacts humains moins fréquents ». Pour vivre en direct le confinement à la campagne et le respecter, nous n’avons en plus pas forcément le sentiment d’être coupés des autres, ni d’être ébranlés par une sensation de vide, beaucoup plus marquée pour les habitants proches des grands boulevards urbains que pour ceux vivant à la campagne. Autrement dit, le confinement à la campagne est plus efficace et moins traumatisant !

Fort logiquement, a été constaté un exode brutal et massif des citadins qui ont véritablement fuit (pour ceux qui le pouvaient) les villes et notamment Paris. Ce deuxième fait n’est pas anecdotique d’abord pour le nombre de gens concernés avec 1,2 millions de personnes qui quittent Paris en moins d’une semaine soit 17 % de la population du Grand Paris ! Des départements limitrophes comme l’Yonne ont gagné en 5 jours près de 10 % de population ! Au-delà des images de départs dans les gares et sur les autoroutes et des polémiques nées sur l’Île de Ré, ce sont surtout les raisons simples et compréhensibles qu’ils avancent qui sont imparables : « on ne veut pas être pris au piège chez nous à Paris dans des appartements trop petits, et là où la maladie se propage plus facilement ! ». Difficile en entendant cela de penser que vivre à Paris est un réel choix personnel et familial ! Cette prise de conscience ne va-t-elle pas accélérer ce que J. Kotkin illustre par le grand mouvement d’exode urbain où les millenials et les immigrés des métropoles américaines plient bagage pour investir les petites villes de l’intérieur du pays ?

Par ailleurs, la vitesse à laquelle notre société a fait évoluer sous la contrainte, ses modes de travail, de consommation et plus largement de vie sociale, en quelques jours, est sidérante. Prenons l’exemple du télétravail ! Son explosion soudaine va accélérer sa généralisation pour les missions pouvant être réalisées à distance. Il offre des perspectives exceptionnelles pour les territoires ruraux. Certes, il conviendra d’avancer encore plus rapidement pour la desserte en fibre optique des zones rurales grâce aux efforts des collectivités locales notamment. Dans cinq ans maximum, on peut légitimement penser que nos amis urbains qui ont migré en quelques jours vers les territoires ruraux pourront y rester à vie et pas seulement le temps d’une crise sanitaire. Cette troisième tendance de fond peut aussi se décliner pour les questions alimentaires, environnementales et sociétales.

Ce n’est pas uniquement une « start-up nation » rurale qui doit se construire, mais un nouveau modèle de société permettant plus de cohésion sociale et territoriale.

Enfin, pour être chaque jour acteurs de la gestion de crise au coeur du système d’action publique, comment ne pas souligner à nouveau la perte d’efficacité du fait d’organisations croisées, enchevêtrée, à l’intérieur même de l’Etat mais aussi encore trop souvent entre l’Etat et les collectivités. Il ne se passe pas un jour sans qu’il soit nécessaire de se battre contre les injonctions paradoxales de Paris et leur application délicate et en décalage temporel sur le terrain. Ce n’est pas nouveau mais on constate une nouvelle fois que l’Etat central ne fait pas confiance aux collectivités. La guerre des masques en est la parfaite illustration. Les collectivités ne vont quand même pas utiliser les masques qu’elles achètent pour carnaval ! Elles sont responsables. Les consignes claires de santé publique doivent venir de Paris, c’est indispensable. Mais la mise en oeuvre doit être confiée sur la base d’un contrat moral devant les français, aux acteurs publics de terrain. A défaut, notre pays ne saura faire évoluer ses modèles. L’Allemagne semble avoir trouvé un équilibre plus efficace dans la gestion de crise avec son organisation fédérale qui confie les décisions opérationnelles aux acteurs de terrain. C’est d’autant plus vrai pour nos départements ruraux, qui sont de grands villages, où de magnifiques et nombreuses initiatives locales viennent compléter les dispositifs sanitaires nationaux et ainsi participer en ces temps difficiles à la cohésion collective. L’Etat central doit enfin le comprendre.

Le regard jeté sur ces quatre tendances structurelles, identifiées depuis plus ou moins longtemps, montre au final que la ruralité est la solution pour l’innovation, l’action, la production. Elle est le socle de la cohésion nationale. On voit bien que cette ruralité est en pole position pour accueillir dans des conditions optimales les relocalisations économiques que Pascal Lamy a appelé de ses voeux avec des entreprises résilientes qui trouvent un équilibre entre profit financier, valorisation des salariés et gestion des risques, y compris politiques et géostratégiques.

Il en va de même pour l’indépendance et la sécurisation de nos productions alimentaires en phase avec les aspirations sociétales et environnementales. C’est une occasion unique de renforcer nos démarches rurales qui visent à structurer les circuits courts, à augmenter la plus-value locale, y compris au niveau marketing, bien loin de l’agribashing des plateaux TV dénué de toute approche objective et pragmatique. Le chantier du numérique, tant la connexion en fibre optique pour les zones rurales non couvertes par les opérateurs privés que les usages numériques, doit être une priorité politique de tout premier rang même si cela doit coûter et ébranler quelques intérêts privés monopolistiques. La même philosophie d’action et de changement peut aussi être mise en oeuvre pour l’organisation pratique et efficace de notre santé de proximité.

Comment enfin ne pas y voir une magnifique opportunité de refonder notre modèle de société plus en phase avec les impacts environnementaux et climatiques. De nombreuses maladies infectieuses sont étroitement liées à la température et au taux d'humidité, si bien que lutter contre le réchauffement climatique, en particulier en s'appuyant sur la ruralité, pourrait s'avérer être un des leviers efficaces pour limiter l'émergence de ces épidémies. La ruralité y est prête, elle porte en elle les prérequis essentiels à ce mouvement : de nombreuses aménités à valoriser, contact avec la nature, retour à l’essentiel, agilité et facilité à agir si tant est que l’Etat adapte ses règlements au contexte rural…

Cette crise montre que notre pays est capable de changer très vite quand il y est contraint. Quand la vie au sens premier du terme des français est en jeu. Qui aurait pu imaginer cela il y a un peu plus d’un mois ? La ruralité semble cocher toutes les cases pour correspondre au nouveau modèle de société à viser. Ce qui est rendu possible aujourd’hui devra absolument être mobilisé lorsque nous sortirons de cette crise sanitaire car la ruralité et les ruraux sont à bien des égards porteurs de solutions rapides et énergiques pour relever les défis de notre pays en totale harmonie avec nos « amis urbains ».