Le monde rural mène de nombreux combats pour maintenir une vie dans les villages. Ces combats sont nobles, ils sont ceux d’acteurs qui développent la plupart du temps un engagement sincère. Il ne s’agit donc pas ici de les critiquer car nous avons pu constater lors d’événements de ce type que c’est par l’explication, la pédagogie, autrement dit le travail sur le fond, que les évolutions peuvent s’amorcer, être accompagnées et finalement aboutir dans un climat constructif. Or, c’est bien souvent le traitement médiatique qui envenime les débats.
Prenons le cas de la fermeture du collège de Champlitte par le département de la Haute-Saône en juillet 2017. Ce collège comptait un peu plus de 100 élèves avec des projections à 10 ans autour des 80-90 élèves, ce qui a notamment justifié sa fermeture et le rattachement des communes concernées au périmètre de recrutement du collège de Dampierre-sur-Salon situé à moins de vingt minutes par les transports scolaires. Il est très intéressant de souligner que les médias locaux n’en ont pas rajouté. Ils ont seulement couvert les manifestations et différentes actions locales au moment de la prise de décision entre mars et septembre 2016. Ils ont aussi repris les arguments de fond développés au niveau départemental.
En revanche, TF1 est venu à Champlitte faire des images et du sensationnel pour le journal de Jean-Pierre Pernaut, “grand défenseur de la ruralité”, le tout en deux petites heures sur place et sans prendre le soin d’interroger le département à l’origine de cette décision pour qu’il présente ses arguments. C’est à ce niveau que le bât blesse pour le monde rural. Sous une apparente volonté de l’aider dans ses combats, très souvent les médias nationaux l’affaiblissent, soit par maladresse, soit par paresse intellectuelle d’entrer dans les dossiers et mesurer leur complexité, soit par désir de sensationnalisme ou volonté d’opposer et de faire le buzz. Les raisons peuvent souvent se combiner !
Le Journal Télévisé de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut en est un condensé et tout particulièrement l’opération “SOS villages” qu’il lance chaque année. Elle consiste à mettre en relation via Internet les commerçants ou artisans de villages avec des repreneurs potentiels. Cette démarche est en soi alléchante car elle permet de profiter d’un zoom médiatique pour mettre en lien des offres et des demandes. Ce qui nous paraît plus gênant est la manière dont elle est menée et présentée. La sémantique utilisée – “SOS, vous aussi participez à la lutte contre la désertification des zones rurales du pays…” – ne laisse pas de place aux doutes. Elle est anxiogène et relaie à grands coups de catastrophisme l’idée d’un monde rural mourant qui doit être sauvé de l’extérieur. Toute démarche locale pour communiquer positivement par la suite est torpillée !
Le deuxième exemple, pris parmi des centaines, est la défense du dernier bureau de poste d’une commune rurale. C’est le cas de celui de la commune d’Asnières-les-Bourges, dans le Cher, en février 2018. Journaux locaux, radios, TV locale ont tous couvert le rassemblement devant le bureau de poste menacé par une fermeture au deuxième semestre 2018. Ce bureau de poste était déjà menacé en 2016 mais le comité de défense avait fait reculer la direction dans son projet. Manifestations, pétition, motion du conseil municipal, interventions de parlementaires et d’élus locaux, comptages citoyens (400 personnes fréquenteraient le bureau de poste chaque semaine, un nombre stable sur un an), sont mis en oeuvre pour obtenir un nouveau moratoire. La Poste, elle, avance un autre chiffre : elle note une baisse de la fréquentation de 41 % à ses sept bureaux de poste sur l’agglomération de Bourges entre 2012 et 2017. Elle propose donc de créer un point relais chez un commerçant d’Asnières.
C’est une fausse bonne idée pour la secrétaire du comité de défense, Josette Amiot, qui déclare à la radio : “Un commerçant n’est pas en mesure de traiter une telle affluence, et surtout pas le lieu proposé par La Poste il y a un an et demi. Et puis, le service est limité dans les relais postaux. Il y a beaucoup de personnes âgées ici. Comment vont-elles faire si elles ne conduisent pas ? Vous les imaginez avec leur déambulateur dans le bus pour aller à La Poste de Saint-Doulchard ? Ils nous auront à l’usure, c’est sûr. Mais franchement, quand il nous reste quinze ou vingt ans à vivre, et qu’on n’est pas rentré dans l’ère numérique, on se sent nié dans notre personne !” (source France Bleue). Les médias locaux mettent aussi en avant certains cas très spécifiques comme celui d’une personne malvoyante pour qui prendre le bus présente un vrai problème : “Il faut compter une matinée pour se rendre à La Poste de Saint- Doulchard depuis Asnières et revenir. Franchement, La Poste ce n’est plus un service public, elle ne pense plus qu’à faire du bénéfice !” (source France Bleue).
On voit bien que cet exemple enferme le monde rural dans des combats d’arrière-garde en se focalisant sur la défense d’un service public mis en oeuvre par une entreprise publique. En effet, le fond de ce sujet est que ce service est en très forte perte de vitesse et correspond de moins en moins aux usages
d’une majorité de Français. Que La Poste cherche des solutions se comprend alors parfaitement. Par contre, que La Poste soit poussée à “bricoler” des solutions non pérennes ou qui vont à l’encontre d’organisations locales à construire autour de l’intercommunalité est catastrophique pour l’avenir du monde rural. C’est par exemple le cas du bureau de poste d’une petite commune qui doit être fermé faute d’usagers et qui est recyclé en Maison de services aux publics (label apparu sous la présidence de François Hollande) alors que le bourg central situé à 5 kilomètres aurait besoin d’être renforcé dès maintenant pour massifier les services publics de proximité. On défend une micro-proximité de façade au détriment d’une proximité courageuse et solide à l’échelle intercommunale.
L’État, mal à l’aise sur ces questions, pousse les élus locaux dans l’erreur en labellisant à grand renfort de communication des coquilles quasiment vides… tout en n’accordant pas, dans son plan France Très Haut Débit, une priorité et une aide spécifique pour les relier à la fibre optique ! Cherchez l’erreur ! C’est en niant de telles évolutions sociétales, en caricaturant et en dramatisant les situations que le monde rural esquive maladroitement les combats vitaux pour sa survie, souvent avec la complicité objective d’un État ambigu sur ces questions.