La commande passée par le Labo Rural est d’emblée fondée sur une catégorie juridique qui n’existe à ce jour pas : le département « rural ». A cet égard, il convient de définir cette notion comme étant le Département, au sens institutionnel du terme, défini par opposition à la métropole qui génère indubitablement une complexité accrue de l’appréhension des compétences départementales. Notons qu’il existait au 1er janvier 2018 « seulement » 22 métropoles et que la métropolisation du territoire demeure un phénomène loin d’être généralisé à cette heure.
Dès lors, la présente analyse proposera de se fonder sur le fait qu’il existe dans chaque département une collectivité départementale d’une part, et des intercommunalités d’autre part, qu’il s’agisse de communautés de communes ou d’intercommunalités plus intégrées. A cet égard, l’enjeu institutionnel de la présente note, mais par la même occasion pratique ou opérationnel, est de déterminer l’articulation entre les départements et les intercommunalités dans la France du 21ème siècle.
Enfin, notons que la commande passée incorpore un biais clair (ce qui n’est pas en soi une critique), à savoir la volonté d’un rapprochement entre ces deux instances.
Cela implique de facto l’intégration d’éléments de réflexion institutionnels et électoraux d’une part, géographiques et périmétriques d’autre part, et enfin liés aux compétences exercées par les différentes strates territoriales.
1. La nécessité d’une redéfinition du lien institutionnel entre les départements, les intercommunalités et les communes.
Sur le plan institutionnel et électoral, les synergies pouvant exister entre département et intercommunalités sont inexistantes à ce jour. Quand les élus intercommunaux sont élus par le biais d’un fléchage au moment de l’élection municipale, les binômes départementaux sont élus dans chaque canton de manière complètement indépendante.
Il y a à cet égard une première problématique temporelle. En effet, à la suite de l’acte III de la Décentralisation engagé durant le quinquennat de François Hollande, la logique d’un couplage électoral des élections locales (communales et intercommunales) et des élections territoriales (départementales et régionales) a été mise en œuvre. Il y a dès lors un premier enjeu de temporalité électorale à traiter si l’objectif politique est de rapprocher les élections intercommunales des élections départementales qui seront désormais ancrées dans des temporalités différentes.
Cela met de plus en lumière une difficulté juridico-constitutionnelle importante, quoique parfaitement dépassable dans l’absolu, liée au statut des intercommunalités. En effet, ces dernières ne sont pas des collectivités territoriales au sens juridique du terme, contrairement aux communes, départements et régions. En quelques sortes, les intercommunalités sont aujourd’hui des fédérations[1] de communes. Transformer les départements en fédération d’intercommunalités revient donc à modifier, ou du moins à intégrer dans la réflexion, la nature même du lien entre la commune et l’intercommunalité. En effet, il est possible d’imaginer un système à trois « étages », caractérisé par des liens institutionnels entre les communes, les intercommunalités et les départements, mais aussi un système dans lequel le lien entre la commune et l’intercommunalité est remplacé par une connexion entre l’intercommunalité et le département.
De la redéfinition de ce lien doit émerger un mode électoral pertinent, visant à garantir plusieurs éléments fondamentaux. En premier, lieu, une représentation équilibrée des territoires doit être atteinte par l’articulation entre les pôles urbains et les zones périphériques, et ceci à toutes les échelles. Il convient également d’intégrer des éléments relatifs à la promotion de la parité. A cet égard, notons qu’il conviendra de dresser un bilan sur la mise en œuvre des binômes paritaires au sein de cantons redécoupés. C’est ensuite un arbitrage entre le scrutin de liste et le scrutin uninominal ou binominal qui devra être rendu, tout en gardant à l’esprit que des logiques hybrides peuvent parfaitement être imaginées en la matière.
Enfin, notons que cette problématique électorale doit s’accompagner d’une réflexion sur l’élection au suffrage direct de son Président, ainsi que d’une réflexion sur les responsabilités et missions des élus municipaux. A ce dernier égard, l’évolution de la métropole du grand Paris, mais aussi le fonctionnement des mairies d’arrondissement de Paris, Lyon et Marseille permettent de tirer des enseignements utiles. Cela permet de rappeler que le Conseiller territorial prévu par la loi dite « RCT » de 2010 n’était pas une aberration juridique et politique en soit…C’était plus précisément l’association de la Région et du Département, a fortiori sans aucune modalité d’organisation préalable, qui a condamné dès le départ ce projet.
2. Une réforme territoriale absolument nécessaire pour mieux articuler ces trois échelons territoriaux.
A cette approche purement institutionnelle doit être ajoutée une approche territoriale. En effet, c’est en grande partie l’émiettement institutionnalo-territorial français qui est à l’origine de la situation actuelle.
La réponse des communes nouvelles « Pelissier » permet depuis 2010 de réduire sensiblement l’émiettement communal sans pour autant constituer un cadre qui permette de faire une différence à une échelle nationale, voire départementale dans la plupart des cas.
C’est dans ce contexte que la loi NOTRe a abouti à l’engagement d’une réduction drastique du nombre d’intercommunalités, l’appartenance à un EPCI devenant par la même obligatoire. Le choix a été fait à l’époque d’une déconnexion totale des périmètres intercommunaux et des périmètres cantonaux qui venaient eux aussi d’être refondu dans le cadre de la mise en place du scrutin binominal. Il est vrai que la fourchette « électorale » définie par la jurisprudence constitutionnelle et se traduisant in concreto par des frontières cantonales intra-communales n’est pas construite sur la même logique que la carte intercommunale, basée elle sur un nombre minimal d’habitants mais aussi sur l’inséquabilité des périmètres communaux. Dès lors, il existe des périmètres de même échelle mais qui ne sont que rarement superposés.
Si l’on envisage une réforme de cet état de fait, deux pistes de travail apparaissent d’emblée mortes nées ou du moins très peu plausibles. En premier lieu, la modification des périmètres intercommunaux, alors même que le choc de la précédente vague de regroupement n’est toujours pas absorbé apparaît illusoire à court et à moyen terme. De plus, une disparition des périmètres cantonaux au profit des périmètres intercommunaux n’apparait pas non plus crédible du fait des écarts trop importants de population pouvant exister.
Dans ce contexte et aussi paradoxal que cela puisse de prime abord paraitre, le mécanisme électoral existant au niveau de la métropole du Grand Paris pourrait être, une nouvelle fois, analysé avec profit. Notons par ailleurs qu’il s’agit sans conteste de la structure qui se rapproche le plus en France de la Fédération d’intercommunalités. Ainsi, un double fléchage au moment de l’élection communale pourrait être étudié. Il conviendrait cependant d’intégrer à cette analyse une prise en compte de la loi relative au non-cumul des mandats.
3. Une définition préalable des objectifs de la réforme nécessaire.
Il est impossible de ne pas évoquer les objectifs à assigner à une telle réforme, dans un contexte où les compétences des intercommunalités et des départements ont largement évolué ces derniers temps et où les communes disposent toujours d’une clause générale de compétence aux conséquences en la matière lourde.
La problématique fondamentale de la décentralisation (mais aussi de la déconcentration), héritée des lois fondatrices de 1981, demeure d’actualité : veut-on des échelons territoriaux « techniques » et spécialisées ou des collectivités généralistes et faisant d’avance de place aux orientations politiques définies par les élus locaux ?
Il n’y aura pas en la matière de réponses tranchées entre ces deux idéaux-types, mais il conviendra tout de même d’y apporter une réponse englobant l’Etat et ses organes déconcentrés, dont la pertinence aujourd’hui n’est pas nécessairement assurées.
Le législateur a souhaité par exemple retirer aux départements, dans le cadre de la loi NOTRe, tout compétence en matière de développement économique. Est-ce à dire que la conséquence d’une telle réforme serait de réintroduire une possibilité d’action des départements en la matière puisque les intercommunalités en disposent ? De plus, ne pourrait-on pas envisager un scénario dans lequel le Département exercerait les compétences de l’Etat dans différents domaines[2] ?
De manière plus large, et c’est d’ailleurs l’une des limites actuelles de la métropole du Grand Paris, le développement d’une logique de fédération d’intercommunalités sans s’interroger et définir le cadrage de l’exercice des compétences d’une part, mais aussi des clés de financement dans un contexte de fragilisation du pouvoir de taux des collectivités semble absolument fondamental.
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En définitive, les évolutions institutionnelles nécessaires pour faire évoluer les départements vers une fédération d’intercommunalités ne sont pas insurmontables et sont principalement de nature électorales et territoriales. A cette étape de la réflexion, il apparaît en tout état de cause qu’une révision de la Constitution ne serait pas nécessaire.
Cependant, l’histoire récente de la métropole du Grand Paris nous enseigne que l’enjeu principal, au-delà de l’aspect institutionnel, réside sans nul doute dans la définition préalable des compétences qui seraient celles, directes, indirectes, partagées ou exclusives de ces départements nouveaux.
[1]Au sens premier du terme, une fédération demeure une alliance de plusieurs acteurs demeurant indépendants, dans la perspective de la poursuite d’un objectif commun. Notons que dans une acception plus politique, ce concept fut travaillé par toutes les composantes de l’échiquier politique, allant des conservateurs aux progressistes, voire dans certains cas à des révolutionnaires tels que Joseph Proudhon.
[2]Ce qui ne remettrait nullement en cause l’unité nationale si l’Etat centralisé poursuit l’édiction de normes harmonisatrices notamment par le biais réglementaire. Enfin, notons par incidente que ce scénario aurait l’avantage absolument fondamental de renforcer le contrôle, ou du moins, la connaissance, des normes réglementaires non plus par la seule administration mais aussi et surtout, pour la première fois, par des élus de la République.