La question des déplacements est un enjeu mondial. Leur amélioration généralisée depuis des siècles a été l’une des conditions essentielles de la croissance économique dans un monde sans cesse plus ouvert. Depuis une vingtaine d’années, l’enjeu de la mobilité se pose aussi fortement au regard de ses impacts environnementaux négatifs. Le monde rural subit de plein fouet cette injonction… paradoxale. D’un côté, les citoyens attendent des réponses des pouvoirs publics pour réduire les freins réels ou ressentis à la mobilité quotidienne pour aller au travail, faire ses courses, accéder à un lieu d’enseignement ou de soins mais aussi pour contourner l’enclavement économique qui handicape certaines entreprises dans la compétition mondiale du fait de leur localisation. Dès lors, la possession d’une voiture individuelle est la seule solution même si cela doit coûter jusqu’à un quart des revenus du ménage !

D’un autre côté, les enjeux climatiques ciblent fort logiquement une transformation forte des habitudes et modes de déplacements dans la mesure où ils constituent un poste important d’émissions de gaz à effet de serre. C’est là une délicate équation que les pouvoirs publics ont à résoudre vis-à-vis du monde rural, car on a bien compris qu’en milieu rural le vélo n’est pas et ne sera pas la solution miracle (parfois on peut en douter en écoutant certains responsables politiques et médias nationaux). Le mouvement des “gilets jaunes” initié suite à l’augmentation des taxes sur le gazole et, il y a quelques années, le mouvement des “bonnets rouges” qui a enterré l’écotaxe se sont cristallisés sur ces ressorts.

Les études sur ces sujets aboutissent toutes à la même logique “éviter-transformer-améliorer” en agissant sur plusieurs leviers qui visent à réduire le nombre de déplacements par le télétravail, l’essor du e-commerce, des distributions de courses par tournées, la relocalisation de certaines activités commerciales… Elles cherchent aussi à transformer les comportements en développant le recours aux modes de transport alternatifs à la voiture, comme le vélo avec le plan gouvernemental d’octobre 2018. Des axes d’amélioration sont également à l’oeuvre via la modernisation des lignes de transport public express, les progrès constants concernant l’efficacité énergétique des véhicules et le développement de la voiture électrique…

Une orientation sociétale est en cours ; elle est nécessaire mais elle prendra du temps. Les dernières avancées perçues pendant les “assises nationales de la mobilité” en 2017-2018 et lors de la présentation en Conseil des ministres de la future loi d’orientation sur les mobilités (LOME) qui devrait finir par arriver devant le Parlement en 2019 vont aussi dans ce sens. On a pris conscience que les discours simplistes visant à relocaliser les emplois d’un coup de baguette magique ou couvrir la France rurale de réseaux de transport en communs sont complètement illusoires, économiquement intenables et écologiquement contreproductifs (voir le cas des bus qui roulent à vide). La voiture est donc, et encore pour longtemps, un moyen quasi unique et essentiel de mobilité en milieu rural, en particulier pour le travail.

Nous proposons donc d’apporter des réponses simples et non dogmatiques aux défis posés par la mobilité quotidienne des Français en milieu rural inspirées des récentes et majeures innovations sociétales (Blablacar, Uber, auto-partage dans les villes…) et de se baser ainsi sur la notion de partage de la voiture en milieu rural. Aujourd’hui, la masse critique d’usagers nécessaire au bon fonctionnement des dispositifs de covoiturage n’est pas atteinte. À peine 10 % des actifs covoiturent tous les jours, au moins sur une partie de leur trajet. Et sur ces 10 %, la moitié des covoiturages a lieu avec des membres de la famille. L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), dans ses dernières études, a montré que les plateformes de type Blablacar, avec planification du trajet à l’avance et partage des frais, ne fonctionnent pas pour les trajets réguliers de courte distance. Des applications avec géolocalisation, plus souples, sont en train d’émerger. Mais pour l’instant, aucun dispositif n’est parvenu à percer et atteindre la masse critique. Nous pensons que la technologie n’est pas le facteur bloquant mais que c’est une véritable ambition politique et même culturelle, assumée comme une réponse d’avenir pour le monde rural qu’il faut définir à travers plusieurs déclinaisons concrètes :

- 1re disposition : établir des schémas départementaux des aires de covoiturage permettant de mailler les territoires en infrastructures physiques labellisées et cohérentes spatialement afin de rendre visibles les trajets possibles de covoiturage. L’aménagement de “points stop” et la mise en place de voies dédiées uniquement aux bus et véhicules “covoitureurs” sur les zones de congestion en entrée de villes sont également à étudier dans ces schémas, dans une vision également intermodale quand c’est possible. Le département de la Haute-Saône a adopté fin 2018 son schéma élaboré en lien avec les communautés de communes. Ces aires seront ensuite opérées par des plateformes numériques, y compris privées, pour délivrer le service aux usagers dans l’esprit du concept plus large de “mobility as a service”, c’est-à-dire une mobilité servicielle qui répond aux besoins d’une population de plus en plus connectée. L’enjeu n’est plus seulement de desservir les territoires, il s’agit aussi d’améliorer le confort mais surtout de proposer des services à l’usager pendant son temps de parcours.

- 2e disposition : proposer des avantages économiques aux covoitureurs via des incitations fiscales ou des aides sur la base du concept d’un “versement transport” direct aux salariés ruraux qui doivent se déplacer pour se rendre sur leur lieu de travail en voiture quand il n’existe pas d’offre de transports en commun – lesquels sont ailleurs multi-subventionnés –, en “primant” ceux qui partagent leur voiture. Une première approche a été bricolée dans l’urgence par le Gouvernement fin 2018 pour répondre à certaines demandes issues du mouvement des “gilets jaunes” mais les solutions mises sur la table se sont révélées trop simplistes et malheureusement inapplicables ! On pourrait aussi imaginer qu’une part du versement transport actuellement prélevé sur les entreprises (8 milliards d’euros) soit fléchée vers les territoires ruraux par solidarité alors que ces crédits profitent à ce jour exclusivement aux transports en zones urbaines.