L’Ecole française se trouve actuellement face à un défi sans précédent. Elle est le fruit d’une longue histoire (Jules Ferry, plan Langevin-Wallon, sortie de la seconde guerre mondiale…). Son dernier grand succès fut la massification scolaire orchestrée à partir des années 60 de l’enseignement secondaire avec ses corollaires, allongement de la durée des études, accès pour une large partie de la population à un niveau de qualification élevé, perception par la population de l’Ecole comme garant d’un possible ascenseur social… Force est de constater, malheureusement, que le « mammouth » dixit le ministre de l’époque Claude Allègre, semble manquer de boussole pour choisir la bonne direction. Le système scolaire français se trouve désormais face à un nouveau défi du XXIe siècle : la transformation de l’Education sous l’effet des thèses néolibérales qui conduisent plus ou moins à un processus de marchandisation de l’Education. 

 

Attention ! Danger pour le monde rural qui est, dès lors, très exposé à ce risque car il souffre déjà d’un déficit structurel de matière grise et d’un fort manque d’ambition de la jeunesse rurale. On parle de « capital d’autochtonie » (B. Coquard) : le jeune en rural bâti son avenir de proche en proche sans véritable vision, par connaissances et affinités personnelles et aussi pour des raisons matérielles car il faut quitter le domicile familial avec des coûts de logement, de transport…  Si l’école ne garantie plus un socle et une ambition commune, il y a donc grand danger ! 

 

La crise profonde, lourde, aux causes multiples, qui agite la machine scolaire française, est désormais habillée d’une habile communication valorisant des performances au service de l’ « Ecole de la confiance ». Cette lente dégringolade se poursuit chaque jour, dans un silence collectif  plus ou moins assourdissant que le chercheur André Giordan résume par la formule suivante : désormais « l’école ne sélectionne plus les capacités mais l’origine sociale ». Les enseignants eux-mêmes ne sont pas en reste ! Souffrance au travail, crise des vocations, quotidien désormais rempli de tâches subalternes numériques, conditions de travail délicates d’une partie d’entre eux … La gestion des femmes et des hommes par la verticalité, qui plus est numérique, est un leurre face à la réalité de la vie d’un établissement scolaire. Et pourtant, le monde rural fourmille d’exemples où la communauté éducative, des parents aux professeurs en passant par les élus locaux et le monde associatif, s’engagent corps et âme à l’école et au collège pour compenser l’éloignement de certaines ressources pédagogiques, culturelles et sportives. 

 

Nous n’avons pas le pouvoir localement d’agir sur les programmes et autres cadres nationaux mais nous avons le pouvoir de nous réapproprier l’outil scolaire par un pilotage à hauteur des acteurs et des usagers peut répondre aux besoins des prochaines générations. C’est dans cette perspective que les acteurs ruraux ont un rôle fondamental à endosser pour redonner le goût de l’école, pour ré-enchanter le milieu scolaire car il en va de la survie de leurs territoires. Ce combat à mener est immense, il est peut être le plus important de tous, mais il n’est certainement pas perdu d’avance : les acteurs d’un territoire ont le pouvoir de décider le changement nécessaire sans tout attendre des directives nationales et surtout en faisant preuve d’audace et d’ambition sans revenir à la défense de l’école nostalgique des années soixante. 

 

La mesure 7 de l’essai « Ruralité : stop ou encore » (Faivre, Krattinger, 2019) visait à développer une démarche proactive des organisations scolaires rurales et ouvrir les établissements scolaires (écoles et collèges) sur leur environnement direct en mutualisant leur utilisation avec les forces vives locales. Via un nouveau fonctionnement des lieux d’enseignement avec, d’un côté, le volet pédagogique qui doit permettre à l’Éducation nationale de se recentrer sur son cœur de métier et, de l’autre, la gestion des sites scolaires par les collectivités, nous faisons le pari de faire du collège rural un équipement mutualisé (culturel, sportif, numérique, social…), partagé 365 jours par an et ouvert à tous et ainsi se réapproprier ce lieu et créer des synergies positives. Notre ambition est donc de créer une école ou un collège au service de son territoire, régi par ses habitants, pour ses habitants : la mise en œuvre d’une Ecole des besoins essentiels mais ambitieuse, une Ecole Rurale pour tous.

 

Ce Manifeste se base sur ces constats et s’inscrit dans la droite ligne de cette proposition en offrant un canevas de solutions, applicables immédiatement au niveau du collège. Elles sont au nombre de quinze, présentées volontairement sous un format en dehors des schémas techniques du système scolaire conventionnel. Elles sont le fruit aussi d’expérimentations plus ou moins éparses menées sur le terrain. Aujourd’hui, nous sommes prêts à mettre en œuvre un objectif central simple : permettre à la population de reprendre confiance dans son école en s’adressant à elle par le prisme des besoins essentiels : éduquer / accéder à la culture / se nourrir / se soigner / être hébergé. Leur mise en place est nécessairement progressive mais ce sont leurs interactions qui permettront d’atteindre nos ambitieux objectifs. 

 

 

1-     Éduquer 

 

L’Education Nationale garantit aux enfants de la Nation un enseignement scolaire identique sur l’ensemble de son territoire. Depuis sa dernière réforme en 2016, le Collège offre un programme de 26 heures, de la 6e à la 3e (on parle désormais de cycles : cycle 3  CM1 / 6e, cycle 4  5e / 3e)

 

Si Jules Ferry est resté dans les livres d’Histoire, il a en définitive accompagné un mouvement général issu des Lumières et de la Révolution déjà en cours. Son rôle fut toutefois déterminant sur deux points : la scolarisation des filles et l’obligation d’envoyer les enfants des campagnes à l’école, éléments essentiels à garder à l’esprit sans cesse dans le développement du programme d’un collège rural ambitieux pour les habitants de son territoire.

 

Difficile aujourd’hui d’imaginer que l’enseignement reçu va être identique selon le territoire où l’on grandit. Les inégalités territoriales sont telles que dès les premières années de fréquentation des bancs de l’école, un enfant se verra classer et identifier selon ses origines sociales, culturelles et géographiques. Dans ce contexte, afin de penser un collège rural émancipateur et source d’épanouissement, il convient de penser le collège comme un lieu ouvert à l’ensemble de la population susceptible de solliciter ses ressources éducatives. Pour initier ce mouvement de fond, trois dispositifs peuvent être envisagés :

 

-                            Ecole tout au long de la vie à destination de l’ensemble de la population sous l’appellation d’une « Université Populaire Ouverte ». L’ensemble des compétences humaines et la totalité des outils présents au collège offre un espace d’éducation à disposition des usagers. Une offre annuelle éducative co-construite par l’équipe enseignante et la collectivité (Département, la commune et la communauté de communes) est proposée à la population d’un territoire donné avec deux enjeux forts : la formation continue et l’inclusion numérique. 

 

-                            Dès le début du cycle 4, dès l’âge de 12 ans, mise en œuvre d’une Education de proximité aux milieux naturels et professionnels du territoire. Si le collégien suit un programme de cours obligatoire de 26 heures, il passe en moyenne jusqu’à 40 heures par semaine au sein de son établissement. La mise en œuvre d’enseignements supplémentaires de proximité, fondateurs de son éveil au territoire dans lequel il grandit, devient fondamentale. A ce titre, l’éducation aux milieux forestiers et aquatiques, l’éducation agricole et alimentaire, l’éducation aux métiers de la Cuisine pourraient être privilégiées.

 

-                            Si le Collège Rural du XXIe siècle est ouvert à l’ensemble de la population… il se doit donc d’être ouvert en priorité aux élèves qui ne sont pas encore collégiens. Selon les besoins exprimés par les écoles du premier degré, un collège du socle commun pour tous les cycles doit voir le jour. En gardant leur indépendance et leur liberté pédagogique, les personnels du premier degré du secteur du Collège accèdent aux ressources de l’établissement selon leurs besoins, développent une pédagogie commune avec leurs homologues du second degré selon la nature des projets envisagés.

 

 

2-     Accéder à la culture  

 

Evoquer la notion de Culture dans une époque où tous les codes culturels sont bouleversés par les moyens de communication à portée de tous, relève de la gageure. Si le monde rural reste isolé, il sera la première victime de la crétinisation des esprits avec un sentiment de honte de soi, de tristesse, de défaite, de résignation, d’autocensure. Là encore, il n’est pas de combat perdu d’avance. L’éducation culturelle qui doit irriguer un territoire rural, à destination de tous, doit s’appuyer sur quelques piliers dont les trois dispositifs peuvent être les premiers :

 

-                            Dès le début du cycle 4, mise en œuvre d’un enseignement autour la fierté du territoire qui pourrait s’adosser à la marque territoriale créée par le Département « Haute-Saône : la course en tête ! ». En accord avec les partenaires culturels dont le Département à la charge, un programme suivi sur 3 ans permettra à tout jeune collégien de suivre une réelle éducation culturelle par la découverte et la connaissance de son territoire proche. Visites et voyages de sites et monuments essentiels, découverte des grands personnages passés et présents du Département voire de la Région, prise de conscience de mobilités nouvelles… C’est en partant sur ces chemins là que la confiance d’un enfant s’exprimera au travers des potentialités qu’il découvrira. C’est un inestimable pari sur l’avenir afin de tenter de passer de la honte de soi à une estime de soi précieuse et entretenue.

 

-                            Construction dans le collège d’un projet collectif rural via un espace culturel géré par une association locale investie par les citoyens. Cette mobilisation locale, en accord avec les équipes enseignantes, aura vocation à présenter une « Saison Culturelle Rurale Locale » annuelle, basée sur une programmation cinéma / spectacles / conférences. Cet espace sera ouvert à tous, garantissant la nécessaire rencontre intergénérationnelle dont tout établissement scolaire doit se nourrir.

 

-                            Afin de lutter contre les déterminismes sociaux et territoriaux, doter tous les élèves de collège d’un accès gratuit à des espaces culturels désignés, l’établissement fréquenté ayant vocation à garantir la fréquentation des lieux visés par la politique culturelle mise en place. Un soutien financier permettant de faciliter les transports devra être envisagé afin de réduire la fracture culturelle liée à l’éloignement géographique.

 

 

3-     Se nourrir

 

Malbouffe, surpoids, obésité, perte de respect des règles essentielles d’alimentation, repas régulièrement sautés, conséquences médicales majeures comme les maladies cardiovasculaires ou respiratoires… Ce tragique tableau de notre époque est connu de tous. Dans un milieu rural où la proximité avec le secteur agricole peut faciliter une alimentation moins dépendante de l’industrie alimentaire de masse tout en bénéficiant d’espaces moins pollués qu’en ville, on pourrait espérer une situation moins dramatique que dans les zones urbaines… C’est parfois pire ! 

 

Par ailleurs, l’irruption massive des écrans dans le quotidien des enfants dès le plus jeune âge engendre de sévères dysfonctionnements dans les prise de repas et la diversité alimentaire a depuis longtemps déserté la plupart des cuisines au sein des foyers : que reste-t-il aujourd’hui chez les enfants de l’attrait pour les fruits et les légumes ? Quelle éducation réelle à l’alimentation et au goût reçoivent-ils ? Des dispositifs comme Agrilocal mis en œuvre dans plusieurs départements comme en Haute-Saône depuis 2014 ont prouvé qu’il est possible de déclencher un cercle vertueux avec les enfants futurs consommateurs des producteurs locaux.

 

Un programme court et lisible, de nouvelles ruptures dans les pratiques, un renversement des codes de l’éducation alimentaire à hauteurs des enjeux du XXIe siècle, trois clés pour réussir le défi du besoin essentiel de se nourrir :

 

-                            J’aime mon collège, j’apprends à me nourrir, je suis fier de vivre dans une école où je participe au programme « Mes 500 repas par an ». Si des initiatives de valeurs ont cours en zones rurales comme Agrilocal, ces initiatives ne portent ... que sur 4 repas par semaine, 36 semaines par an… En dotant les établissements volontaires d’un programme petit déjeuner/repas/goûter à la sortie des cours, ce sont non pas 4 repas par semaine sur lesquels l’école aura une influence… mais 15 sur 21 possibles. Sur une année scolaire, cela représente plus de 500 repas, 2000 pour les années collège, et combien si les écoles primaires rentrent dans cette boucle… En collaboration avec les différents acteurs des structures scolaires, des programmes nutritifs seront élaborés avec  l’éducation au goût et la connaissance des produits locaux au cœur du dispositif. Aujourd’hui, un nombre conséquent d’enfants ne prennent plus qu’un seul repas par jour, complété par quelques grignotages : le combat pour l’école rurale peut se gagner sur différents fronts, le premier doit être la bataille du ventre.

 

-                            Mise en œuvre du Projet « KM 0 » (Kilomètre Zéro). Après avoir suivi des classes d’éducation au goût et à la santé, les élèves visitent les exploitations agricoles de leur environnement proche puis, en accord avec les producteurs locaux, mettent en œuvre au sein de leur collège l’équivalent d’un marché de pays en organisant la vente des produits par les élèves, pour les élèves. Après commande, les produits sont livrés le vendredi après-midi, l’élève peut rentrer chez lui en ayant, en somme, « fait les courses ». Ce travail d’éducation à l’alimentation est fondamental, c’est l’organisation de toute une vie d’achats de nourritures qui est en jeu. Pour les producteurs locaux, le défi est colossal.

 

-                            Où peut-on boire un café ? Où peut-on se restaurer ? Voilà les sempiternelles questions qui plombent la ruralité alors qu’une réelle mobilité liée au tourisme vert se met en œuvre, un peu plus chaque jour. La mise en application des deux projets précédents permet de percevoir la restauration scolaire d’un établissement non plus comme une simple cantine de la pause méridienne mais comme un véritable espace de restauration à disposition des élèves durant toute la journée d’école. Cette force nouvelle doit donc permettre d’offrir un accueil permanent ou quasi-permanent aux habitants du territoire, ainsi qu’aux touristes de passage. Un lieu dédié à cet accueil sur le principe d’une « Brasserie Rurale », géré par le milieu associatif local en lien avec le collège pourrait ainsi voir le jour en veillant à ne pas concurrencer le cas échéant une offre présente dans la commune. Au-delà de l’aspect restauration, c’est le défi de « vivre » en milieu rural qui est soulevé par cette idée : qui sait si de nombreuses personnes isolées ne prendraient pas goût à un repas de temps en temps dans un tel cadre ? 

 

 

4-     Se soigner

 

Qu’entendons-nous par se soigner ?  Accordons nous d’abord sur la définition suivante de la santé : « état de bien être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Si l’offre de santé sur le territoire français est inégale, et c’est un euphémisme, la situation devient critique en zone rurale… Mais ce n’est rien à côté de la situation de la médecine scolaire. Absence de médecins, postes non pourvus, infirmières affectées par moitié de services (tout en devant couvrir le premier degré du secteur du collège concerné !), remplacements inexistants, le délabrement du secteur des soins du système scolaire interroge sur la capacité de l’éducation nationale à prendre soin des élèves que la Nation lui confie. L’objectif d’un développement sain de l’enfant est central : l’hygiène dans son ensemble (un des points de grande régression ces dix dernières années), l’alimentation (sujet du chapitre précédent), la baisse inquiétante des capacités physiques des nouvelles générations d’élèves et la question des activités physiques, l’incapacité pour les infirmières de pratiquer tous les dépistages souhaités par manque de temps, leurs difficultés à donner des soins élémentaires en raisons de normes drastiques confinant à l’absurde, et combien d’autres sujets…

 

La situation est telle au sein des établissements que nous ne retiendrons qu’une seule voix, celle d’un des français les plus écoutés, Boris Cyrulnik, qui n’hésite pas à parler de « maltraitances scolaires » quand il évoque les conditions de prise en charge actuellement des enfants dans les écoles françaises. Comment accepter la souffrance d’un enfant dans un pays comme le nôtre au XXIe siècle? Vers quel chemin souhaitons-nous aller ? Accompagnement, écoute, bienveillance, soins, sont des mots qui doivent revenir dans le quotidien d’un collège. 

 

Trois pistes de travail, pour donner à tous la garantie que l’école est un lieu qui écoute, soigne, aide et accompagne :

 

-                            La création d’un point d’accueil médical pour tous via la mise en œuvre d’un nouveau service d’accueil dans les collèges à disposition de l’ensemble de la population. Les parents ne voient plus ainsi la convocation médicale au collège comme une sanction de leurs carences mais comme la chance d’être accompagné dans l’éducation de leurs enfants. C’est un outil supplémentaire pour relever le défi de la démographie médical en milieu rural en lien avec les médecins et pharmacies du secteur et les services du Département comme la PMI (Protection Maternelle et Infantile). La médecine scolaire serait également appelée à participer à ce service, ce qui donne un argument supplémentaire pour le transfert de ces agents de l’Etat au département. Ce dispensaire des temps nouveaux serait gratuit car il se situe au cœur des missions d’un service dédié à l’accompagnement des élèves, de leurs familles et potentiellement de toute la population d’un secteur défini.

 

-                            Afin que les questions liées au Corps soient enfin synonymes de bien-être, la mise en place d’un programme « Sport Pour Tous », de l’élite sportive au débutant, vise à permettre la pratique sportive des uns et les simples activités physiques des autres. Les élèves mais aussi les personnels du collège notamment les agents TOS qui présentent un enjeu fort de santé et de prendre soin de leurs corps (vieillissement, absentéisme…) y seraient inclus. Les professeurs d’éducation physique seraient mobilisés pour mettre en œuvre ce programme en lien avec des ressources extérieures locales permettant ainsi de nouvelles synergies et coopération au profit du collège et des élèves. Plusieurs infrastructures sportives seraient mobilisées : aménagements de structures internes à la commune du collège avec Parcours de Santé, espaces extérieurs dédiés aux exercices physiques, salle de sport (avec le matériel) accessible à tous, parc de vélos utilisables par simple prêt géré par le collège, bases de parcours VTT et de randonnées au départ de chaque établissement investi dans le projet …

 

-                            Développement du projet Reppop initié depuis deux ans en lien avec l’ARS dans plusieurs espaces ruraux, et de tout projet sensible au bien être des enfants (projet Lire et Faire Lire, initiations des écoles de pêche de chaque bassin, etc…). Le Reppop (Réseau de Prévention et de Prise en charge de l’Obésité Pédiatrique en BFC), vise à « promouvoir les actions de prévention et améliorer les parcours de santé des populations ». La PMI pourrait aussi intégrer ce programme. La prévention du surpoids et de l’obésité chez l’enfant est la priorité de ce programme, c’est bien sûr la porte ouverte pour aller plus loin : redonner confiance, renouer avec la pratique physique, retrouver le goût de l’effort. C’est un plaisir qui passe par une estime de soi retrouvée ou tout simplement découverte. Un enfant ne doit pas vivre en se disant dès ses premières années « je suis nul, je ne vaux rien ». Le devoir de la Collectivité est la protection de l’enfance, alors osons un monde d’enfants heureux avec des visages barrés par des sourires.

 

 

5-     Héberger :

 

Nous avons traité les besoins physiologiques donc en complément de l’éducation, nous avons évoqué les besoins de sécurité (se sentir en confiance), les besoins sociaux (le statut d’appartenance), les besoins d’estime (à soi et aux autres, la création de relations sans dominance), les besoins d’utilité (développement des connaissances, des valeurs, d’accomplissement, de la réussite personnelle). Nous venons, très succinctement, de reprendre les thèmes de la fameuse pyramide du psychologue américain Abraham Maslow. Toutefois, il manque un élément crucial parmi les besoins physiologiques premiers : l’habitat. Sans traiter ce sujet, point de projet global. Mais sans projet, pas d’hébergement.

 

L’Education Nationale passe depuis de trop nombreuses années à côté de cet enjeu majeur alors même qu’elle pousse à rationaliser les moyens et donc l’accès à des structures de proximité directe. Ce qui peut se comprendre car il faut un minimum d’enfants pour faire un collège ! Alors il faut déborder du cadre habituel et réfléchir plus large. Prendre soin d’un enfant, nous l’avons vu précédemment, c’est le faire manger, le soigner et bien sûr le faire dormir. Ce dernier besoin physiologique essentiel est complètement négligé. Comment imaginer le monde de demain avec des départementaux ruraux où 0,1% des collégiens sont internes (au mieux une dizaine de collégiens sur 10 000 en Haute-Saône par exemple) ?

 

Personne ne met son enfant à l’internat au collège… Pourtant du jour au lendemain tout le monde inscrit son enfant à l’internat dans un Lycée ou une Maison Familiale et Rurale, où parfois, 100% des élèves sont internes. Pourquoi ? Car ces familles suivent un projet, celui qu’elles souhaitent pour leur enfant. L’Ecole Rurale de demain doit penser l’hébergement de ses futurs élèves à l’aune de cette question : quelles sont les conditions d’hébergement des enfants accueillis? Pour quel projet ?

 

C’est sur ce point essentiel que l’appropriation du projet global doit passer par la population locale, pleinement investie par le prisme d’une association, dépositaire du programme formalisé. Un internat global, mais des hébergements pluriels, et surtout, locaux. 

 

Deux pistes, là encore, sont à tester en priorité :

 

-                            Désignation d’une Association Locale d’Accueil qui se substitue à l’hébergement classique offert par le système scolaire. Elle offre la garantie d’héberger les enfants dans des structures au centre de la commune, à proximité du collège d’accueil. Dans ce cadre, l’hébergement en famille d’accueil sur l’ensemble du secteur la semaine ne doit pas être écarté. Remplacer des heures de transport par des heures de sommeil, bénéficier d’une qualité de vie sans égal, penser ce projet ambitieux d’internat comme une chance à disposition de tous les enfants en exprimant le souhait : n’est-ce pas le sens d’une action publique efficiente ? 

 

-                            En lien avec les propositions précédentes relatives à l’éducation, il est opportun d’aller vers la création officielle d’options qu’un élève peut rejoindre dès la 5e dans un établissement donné et ainsi accéder à l’hébergement idoine. Penser un Plan Départemental des Options afin que celui-ci soit cohérent et complémentaire en fonction des ressources mobilisées du territoire et non pas concurrentiel. En fonction des projets, il faudra envisager 12 à 24 places d’accueil par option. Cette modélisation devient le support d’un mode de vie à l’école propre au Département, en lien toujours étroit avec l’Education Nationale. On est loin de l’internat connoté « enfants à problèmes » replié sur lui-même, badigeonné sous le pompeux slogan « égalité des chances : internat du XXIe siècle » : deux approches bien différentes !

 

 

6-     Communiquer en direction des familles et de la population locale

 

Puisque « connaître est une chose, agir en est une autre », il convient de prévoir un plan de communication massif à destination des usagers pour faire découvrir ce programme par exemple à l’aide de la présentation d’un établissement pilote. Pour rendre aux citoyens leur fierté et celle de leur territoire, il faut monter aux familles le collège de leurs enfants où ils sont heureux de vivre et de dormir en raison des options choisies dès l’âge de douze ans. Des pays voisins sont allés jusqu’à délocaliser leurs universités en créant des antennes à la campagne. Donnons déjà cette chance à nos 12/15 ans…

 

 

7-     Conventionner & évaluer ces expérimentations 

 

Ces dispositifs nécessitent des engagements conventionnels de la collectivité (Département, commune, communauté de communes), de l’éducation nationale et de partenaires-ressources extérieurs pour organiser, financer et évaluer les différents développements. 

 

L’éducation nationale doit aussi désigner des postes à profils dans les établissements porteurs du projet, sur le modèle de l’éducation prioritaire avec un poste à profil obligatoire du chef d’établissement (idem pour trois à cinq postes d’enseignants ou de personnels administratifs ciblés désignés par ce dernier en accord avec le Rectorat, selon le projet d’établissement). Elle doit aussi mettre en place un programme de recrutement de postes d’infirmières avec la garantie d’un poste complet au minimum par collège.

 

Le département doit aussi pouvoir à termes disposer d’un accès renforcé au collège et gérer la plateforme le plus efficacement possible avec des gestionnaires le plus intégrés possibles (transferts au département de ces postes). 

 

 

Perspectives

 

Si Jules Ferry poussait la porte d’une salle de cours aujourd’hui, il verrait dans l’immense majorité des cas un adulte face à un groupe d’élèves devant un tableau. 5 à 7 élèves seraient attentifs pour donner à l’enseignant les réponses qu’il attend… sans garantie d’avoir appris réellement quelque chose. Et 20 à 25 autres tromperaient l’ennui par diverses méthodes inutiles à rappeler. « Transmettre, expliquer, ce n’est pas apprendre » rappelle André Giordan. Expliquer malheureusement a pour conséquence souvent de bloquer la pensée : l’enfant ne pose plus de questions, se tait, attend que le cours passe. Des dizaines d’années de recherches s’accordent sur ce point et le démontre. Pour comprendre les choses, il faut les vivre. Une école doit fonctionner au rythme fondamental du questionnement de l’enfant et de sa curiosité. Alors, qu’attendons-nous ? Quel déclassement supplémentaire faudra-t-il encore subir avant de réagir ? Pour quels choix voulons-nous opter ? 

 

Par ailleurs, les anciennes solidarités villageoises s’estompent et notre modèle de vie n’en génère pas d’autres ou alors elles sont trop administrées ou artificielles. Il manque des espaces, des occasions d’expression collectives, des liens entre les villageois qui ne doivent pas être trop administrés. Il faut de la souplesse, de la flexibilité sans en attendre des miracles. 

 

Ce manifeste pour une école des besoins essentiels répond aussi à cet enjeu et conçoit le collège comme une porte d’entrée des services publics et aux publics proposés par la Collectivité, l’éducation en est un élément parmi d’autres. Cette maison nouvellement construite, partagée par les citoyens car animée par eux et pour eux, engagera la voie nécessaire de la re-démocratisation de nos villages pour créer de nouvelles solidarités. 

 

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