Un agriculteur sur un tracteur en train de moissonner son champ, avec en arrière-plan un petit village dominé par le clocher de son église, telle est la représentation traditionnelle dans l’imaginaire collectif national de l’espace rural, qui apparaît, pour tout un chacun, comme un espace unifié, défini essentiellement par un critère paysager, la dominante d’espaces agricoles et/ou « naturels » (forêts, landes).

 

Pourtant, dans les faits, rien n’est moins vrai.

 

En effet, il convient d’utiliser le pluriel lorsque l’on souhaite traiter des territoires de morphologie rurale, étant donné leur diversité, qui constitue leur principale caractéristique, à l’origine de la difficulté d’établir un modèle unique de politique d’aménagement puisqu’il ne peut y avoir une « solution miracle » pour l’ensemble des territoires, mais des solutions adaptées à chaque sorte d’espace rural.

 

 

Dans ce cadre, cette note vise à élaborer une typologie générale, qui repose sur plusieurs critères. En effet, Il ne s’agit point, comme il est de plus en plus accoutumé de le faire, de proposer une typologie s’appuyant sur un unique critère quantitatif (comme l’emploi), mais à partir d’une approche qualitative, fondée sur une connaissance fine des territoires hexagonaux, de présenter quatre grands modèles, sensiblement différenciés, d’espaces ruraux, aux problématiques spécifiques, en gardant en tête que certains territoires peuvent relever de plusieurs d’entre eux.

 

1.L’espace rural périurbain

S’il apparaît comme un récent venu dans le champ scientifique hexagonal, il n’en demeure pas moins qu’il existe depuis l’émergence des villes, puisqu’il s’est toujours trouvé des espaces de transition entre la ville et la campagne à proprement parler. 

 

C’est un espace de morphologie rurale, qui se caractérise par une influence urbaine marquée, se traduisant dans le paysage par l’apparition de lotissements, de zones commerciales et la multiplication des zones de loisirs (l’activité hippique en constitue notamment un bon marqueur) en lien avec une population d’origine urbaine. En 2020, du fait d’un considérable étalement urbain depuis les années 1970, consécutif de la démocratisation de l’automobile, de la facilitation de l’accession à la propriété dans l’habitat individuel et de l’idéologie du retour vers la nature, l’espace périurbain constitue une part importante du territoire rural français, sans qu’il soit possible de la quantifier exactement du fait des problèmes statistiques, les définitions de l’Insee étant insatisfaisantes pour prendre pleinement en compte l’ampleur du phénomène. 

 

Ce sont donc des espaces en très forte croissance démographique, qui, si elle s’est légèrement ralentie ces dernières années, pourrait bien repartir de plus belle suite à la crise sanitaire du covid-19. Dans ces territoires, la principale problématique est essentiellement d’ordre de l’aménagement, c’est-à-dire comment adapter les infrastructures et l’offre de services, héritées d’un espace faiblement densément peuplé, à une population plus nombreuse, plus jeune, plus mobile et plus urbaine. La question sociale se pose aussi pour les ménages aux moyens financiers limités, qui peuvent se retrouver fragilisés, ainsi que celle de l’occupation d’une jeunesse ayant tendance à s’y ennuyer, à l’origine d’une forte hausse de la petite délinquance.

 

2.L’espace rural industriel

Si des activités de type industriel, tel que le textile à la campagne, existaient déjà pendant l’Ancien Régime, c’est au cours de la Révolution Industrielle au XIX° siècle qu’a émergé l’industrialisation d’une partie des campagnes en France. Cette dernière s’est faite, dans un premier temps, essentiellement à l’est d’une ligne Le Havre-Marseille, en particulier dans les régions riches en minerais, puis sur l’ensemble du territoire à partir des Trente Glorieuses, période d’industrialisation généralisée du pays dans un contexte de délocalisation de l’emploi industriel de la région parisienne vers des territoires ruraux à plus bas coût de main d’œuvre, en particulier dans le Grand Ouest. 

 

Il s’ensuit qu’aujourd’hui, ce sont dans les espaces ruraux de tradition industrielle où la part de l’emploi industriel dans la population active est la plus élevée, étant sensiblement plus importante que la part de l’emploi agricole. C’est là que l’on retrouve les industries traditionnelles, comme le textile (dans le Nord), la métallurgie/sidérurgie (en Haute-Marne), la mécanique (dans l’Ain) ou encore la production de biens de consommation (dans l’ouest de la France). Cette caractéristique en fait des territoires fragiles dans le contexte de désindustrialisation nationale, consécutif de la concurrence internationale, mais aussi de mauvaises stratégies étatiques dans le domaine. 

 

Dans ces territoires, plutôt localisés dans le nord-est de la France, mais pas seulement, la principale problématique concerne les pertes d’emploi et d’habitants, la crise sociale concomitante et les processus de disparition des services publics et de désertification médicale. Ce sont aujourd’hui les territoires ruraux qui souffrent le plus avec des pathologies sociales semblables aux quartiers pauvres des grandes métropoles, comme le repli identitaire ou la consommation de drogues dures.

 

3.L’espace rural agro-industriel

C’est l’espace rural typique de notre imaginaire collectif. Hérité de l’Ancien Régime, à une époque où l’agriculture occupait la majorité des bras, ce sont des territoires où domine toujours, dans l’économie locale et dans le paysage, l’agriculture sous forme intensive, soit la céréaliculture comme dans le bassin parisien (les champs d’openfield à perte de vue de la Beauce en constituant l’exemple-type), soit l’élevage comme en Bretagne (avec les bâtiments des porcheries qui parsèment la campagne), soit l’arboriculture fruitière comme dans le Comtat ou encore la viticulture (Champagne, Bourgogne…). 

 

Cette activité agricole est associée à une industrie agro-alimentaire de transformation sur place de la production, comme les sucreries avec la culture de la betterave à sucre sur les plateaux de Picardie, les nombreux abattoirs en lien avec l’élevage qui parsèment le Grand Ouest français, la conserverie de légumes ou la fabrication de plats cuisinés dans les régions d’arboriculture et de maraîchage, ou encore la vinification avec les caves de Champagne qui s’apparentent aussi à un processus industriel. L’emploi industriel relevant quasi-exclusivement de l’industrie agro-alimentaire, il se distingue donc largement du précédent type, où dominent les autres industries. Si ces territoires ont été dynamiques sur le plan économique jusque dans les années 1980, bénéficiant largement de la PAC dans un contexte de politique productiviste, comme en témoigne le succès du fameux modèle agro-industriel breton, ils sont cependant fragilisés depuis la remise en cause du modèle intensif, souffrant de surproduction et d’une concurrence d’autres pays européens, voire plus lointains, au profit d’un modèle plus respectueux de l’environnement. 

 

Si les problèmes sociaux sont moins importants et la situation démographique bien meilleure que dans l’espace rural industriel, il n’en demeure pas moins que les mêmes problématiques émergent, concernant les pertes d’emploi et la disparition des services publics. 

 

 

4.L’espace rural récréatif

Dernier grand type d’espace rural en France, il est apparu relativement récemment, c’est-à-dire au cours du XX° siècle, au fur-et-à-mesure du développement d’une société du temps libre et des loisirs. Il se distingue des autres types par le fait que sa spécialisation est tournée vers l’accueil temporaire ou permanent de populations, en particulier retraitées, extérieures à l’origine au territoire. Il correspond à la majorité des espaces montagneux, aux arrière-pays littoraux, ainsi qu’à certaines régions rurales perçues comme offrant une qualité de vie remarquable, à l’exemple de la Dordogne. Sa vocation principale tourne autour du tourisme et des loisirs, c’est-à-dire d’activités non productives, qu’il est désormais convenu d’appeler « économie résidentielle ». 

 

Le modèle-type sont les parcs naturels régionaux, qui foisonnent de plus en plus ces dernières années. Ces territoires se caractérisent par une attractivité démographique certaine, des créations d’emploi corrélées à l’activité touristique et à l’arrivée de nouvelles populations, qui, mécaniquement, entraînent de nouveaux besoins en main d’œuvre, ne serait-ce qu’en termes de services commerciaux ou à la personne. Ils ont été les grands gagnants de l’avènement de la société du temps libre et de l’ouverture européenne, qui a vu un afflux conséquent d’acquéreurs étrangers venir redynamiser leur territoire, pensons notamment aux anglais dans le Sud-Ouest. 

 

Cependant, une fragilité émerge ces dernières années dans un contexte de métropolisation accentuée et d’une tendance à la fermeture des frontières (le Brexit), qui risque de s’accentuer suite à la crise du covid-19. Les principales problématiques de ces territoires concernent donc le maintien de leur attractivité et la disparition des services publics, à laquelle ils n’échappent pas, malgré leur croissance démographique, d’autant que cette dernière concerne plutôt des personnes âgées.

 

Cette brève typologie des espaces ruraux hexagonaux permet de saisir que derrière l’unité paysagère de l’espace rural se cache une profonde diversité correspondant à des dynamiques fortement différenciées. 

 

Il s’ensuit que si certaines problématiques rencontrées apparaissent communes à l’ensemble des espaces ruraux français, dont la désertification médicale et l’inadéquation de l’offre de services, par contre, d’autres problématiques sont grandement dissemblables, signifiant qu’il convient d’adapter les politiques aux spécificités de chaque territoire