S’il apparaît que les typologies INSEE sont fortement critiquables, il est vrai aussi que le monde rural est complexe à photographier ou à faire entrer dans des cases bien définies. Ce que l’on appelle la ruralité n’est pas un bloc, un type bien défini dans une typologie territoriale simpliste. La composition démographique, sociale et culturelle de sa population n’est pas monochrome. Le rural compte plusieurs réalités territoriales qui poussent davantage à rechercher des traits communs au sein de nombreuses monographies, plutôt qu’à essayer de définir une typologie statistique avec des nuances.

Cela revient à accepter une forme de complexité qui peut troubler le commentateur cherchant à synthétiser, voire le pousser à aller trop vite, mais elle ne paralyse pas l’acteur, celui qui agit pour le développement du monde rural. Dès lors, il est très intéressant de relever des traits de caractère du monde rural qui sortent des lieux communs et qui permettent de ne pas tomber dans une guerre statistique stérile. Cette approche en nuances fait évoluer nos modes de représentation y compris en intégrant un fort degré de modestie dans nos tentatives de le modéliser. En effet, quoi de commun entre les territoires ruraux situés sur un littoral touristique, en montagne, au milieu de vastes espaces agricoles ou encore dans une vallée industrielle !


Un des traits les plus marquants et finalement méconnu du grand public, du fait notamment de la déformation des zonages INSEE, est que l’exode rural s’est atténué à la fin des années 1970 avant de s’inverser nettement au début des années 2000. Même l’INSEE, dans son travail prospectif “la population des régions en 2040” (2010), souligne une attractivité des zones rurales entre 1999 et 2004 qui devrait perdurer à l’horizon 2040 ; cependant, depuis, la crise est passée par là et a freiné cette perspective.


Le rapport de 2010 mentionnait que “dans tous les scénarios, la croissance démographique devrait être proche dans les régions rurales du centre de la France (Auvergne, Limousin), en Île de France, en Alsace et en Franche-Comté : selon le scénario central, la population y augmenterait de 8 à 10 %”. Les dernières analyses (crise de 2007-2011) tempèrent légèrement cette vision prospective mais la tendance de fond est là ! À l’inverse de l’imagerie populaire, il s’agit aussi d’une population jeune : dès 1999, plus d’un Français sur deux âgé de 15 à 24 ans vivait dans les espaces ruraux (“Les campagnes et leurs villes”, INSSE, dont Yves Turgault fait le compte rendu dans Population, n° 53 en 1998). Croissance démographique, jeunesse… et il faut aussi garder à l’esprit la forte aspiration des Français à vivre dans le monde rural. De façon récurrente, les enquêtes d’opinion font ressortir qu’une grande majorité de Français aspirent à habiter à la campagne, la dernière en date étant celle de l’IFOP en octobre 2018 qui concluait que pour 81 % des Français vivre à la campagne est un idéal !

Autre trait de caractère, la France rurale c’est d’abord parfois plus de 30 % d’ouvriers. Penser rural n’est pas penser uniquement agricole ! Certes, les territoires ruraux de l’Est et du Nord de la France sont davantage industriels que ceux du Sud- Ouest. Il existe donc des différences mais il est toujours intéressant de constater que lorsqu’un nouveau préfet arrive en Haute-Saône il est bluffé les premiers mois par le caractère industriel, productif et exportateur de ce département.

En effet, la Haute-Saône est exportatrice au niveau mondial et affiche une balance commerciale excédentaire (sur les douze derniers mois connus – quatrième trimestre 2017 et les trois premiers trimestres de 2018 –, la balance commerciale est excédentaire de 375 millions d’euros avec 1,827 milliard d’exportations).

Quelle satisfaction, si le pays était sur les mêmes standards que la balance commerciale de la Haute-Saône ! Mais cela n’apparaît quasiment jamais sur les cartes INSEE ou dans les médias. Les habitants eux-mêmes n’en ont pas vraiment conscience puisque les médias n’en parlent pas. Pourtant, ce serait tellement important pour leur fierté, pour la prise de conscience du potentiel de leurs entreprises dans la bataille de la mondialisation ! Dans cette vision ouverte sur le monde, comment ne pas souligner aussi que le patrimoine naturel, architectural et culturel, vecteur d’identités fortes du monde rural, est très favorable au développement touristique.

De nombreuses études soulignent que le tourisme rural gagne régulièrement des parts de marché au sein de la première destination touristique du monde ! Ainsi, les nuitées passées dans tous les types d’hébergements ruraux ont augmenté de près de 4 % en 2017, soit légèrement moins que dans les grandes villes mais ce taux d’évolution significatif montre que le tourisme rural est dynamique surtout à destination de la clientèle étrangère !

Des traits de caractère plus négatifs sont aussi présents mais paradoxalement ils sont plus souvent mis en avant médiatiquement et par la pensée politique urbaine dominante : faible densité, vieillissement, paupérisation, départ des jeunes diplômés, enclavement numérique ou éloignement de certains services. Ces caractéristiques sont réelles mais, comme pour la croissance démographique, elles ne concernent pas toutes les zones rurales et pas partout avec la même intensité. D’ailleurs, elles constituent davantage des défis que des poids qui lesteraient définitivement un avenir positif.