Le dernier recensement démographique de l’INSEE livré fin 2018 est clair et confirme sans appel la trame de fond : si la croissance nationale s’élève à + 0,4 % par an entre 2011 et 2016, ce sont les métropoles qui en profitent fortement et les petites villes et villes moyennes qui souffrent. Montpellier (1,7 %), Bordeaux (1,5 %), Nantes (1,4 %), Toulouse (1,4 %), Rennes (1,2 %), Lyon (1,1 %)… trônent en haut du hit-parade quand la Nièvre (- 0,9 %), les Ardennes et l’Indre (- 0,6 %), la Creuse et la Haute-Marne (- 0,5 %) sont en fin de classement.


L’INSEE enfonce même le clou en précisant que “la croissance démographique nationale stagne et risque de se confirmer à l’avenir avec pour conséquence une perte d’attractivité accentuée pour les villes moyennes et les espaces ruraux”. Et pourtant, la réalité est-elle aussi simple et brutale que cela ? Gérard- François Dumont fut l’un des premiers à s’interroger en montrant que les outils statistiques utilisés par l’INSEE, comme “unité urbaine” et “aire urbaine”, donnent à penser que l’avenir n’est que dans les villes. Utiliser la désignation “aire urbaine” conduit par exemple à penser et à faire penser que seuls 25 % des Français seraient des ruraux voire même parfois que 80 à 90 % des Français sont sous influence urbaine. Dès lors, une ville comme Boussac, dans la Creuse, qui compte 2200 habitants, est considérée comme étant habitée par des urbains ! Il en va de même pour Rioz, en Haute-Saône, avec 2300 habitants. Or, ces habitants considèrent qu’ils se rendent en ville lorsqu’ils vont à Besançon ou à Vesoul mais aucunement qu’ils vivent “en ville” !


La règle statistique utilisée par l’INSEE, qui revient à considérer que 2000 habitants agglomérés au chef-lieu d’un secteur rural forment un espace urbain, ne correspond pas du tout au vécu de ses habitants et aux problématiques de vie qui en découlent. Ces derniers vivent en réalité dans un espace à morphologie rurale, ce qui est, de fait, gommé. La création en 1990 des zonages en aires urbaines par l’INSEE participe à la même logique d’uniformisation statistique.


Ce zonage est issu d’une méthode de calcul qui consiste à compiler, selon la définition donnée par l’INSEE, “un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales et unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celuici”. Cela revient donc à considérer comme urbaines toutes les communes situées parfois à plusieurs dizaines de kilomètres d’un grand pôle urbain dès lors que 40 % de ses actifs y travaillent.

Se pose alors la question de ces fameux 40 %! Pourquoi 40 % et pas 20 %, 30 %, 50 % ou 60 %? Aucune explication n’est fournie ! C’est un exemple parmi tant d’autres qui confirme que la France a retenu une définition statistique extensive de la ville qui, de ce fait, exclut notamment le plus grand nombre des bourgs
ruraux des statistiques rurales.
Pourquoi cette approche est-elle dangereuse pour le monde rural ? Parce que les différentes cartes et analyses assises sur ces définitions sont largement relayées par les médias. Elles fondent aussi les démarches de planification nationale et régionale. Elles ont surtout pour effet de laisser croire que la France est exclusivement structurée par sa dimension urbaine. Les cartes sont imparables. Pire, les statistiques démographiques ou de créations d’emploi… sont structurées par ces zonages “biaisés” par nature, avec des résultats terribles pour le monde rural.


Gérard-François Dumont démontre pourtant dans plusieurs articles récents qu’en prenant en compte des zonages différents mais fidèles aux réalités, le mode rural a créé plus d’emplois que le monde urbain ces dernières années ! Même l’INSEE a reconnu en 2015 dans le document Insee Méthodes n° 129 que l’approche en zonage du type “unités urbaines” conduit à “surestimer le territoire et la population urbaine”. Tout cela ne serait pas trop grave si ces outils statistiques ne demeuraient qu’une querelle d’experts mais ce n’est pas le cas. Ils viennent à l’appui d’une idéologie dominante qui a des conséquences très négatives pour le monde rural, tout simplement car ils justifient, à grand renfort d’indicateurs statistiques ou de zonages d’intervention institutionnelle, économique et financière plus robustes et savants les uns que les autres, des décisions qui accroissent fortement les inégalités territoriales (nous y reviendrons).

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si un certain nombre d’élus et associations au niveau européen, comme l’association internationale Ruralité-Environnement-Développement (RED) et le Mouvement européen de la ruralité (MER), se sont battus pour que les chiffres alternatifs sortent au niveau de la commission européenne au moment de la négociation budgétaire à venir. Dès 2005, une nouvelle nomenclature remettant en cause l’approche INSEE a été élaborée par EUROSTAT. Ainsi, EUROSTAT a refondé un certain nombre d’indicateurs statistiques, notamment en se basant sur la maille géographique communale, pour gagner en finesse d’analyse. Le résultat est éloquent et en grosse contradiction avec l’approche INSEE nationale car il apparaît selon EUROSTAT que 91 % du territoire européen est rural et que 56 % de la population européenne vit dans des espaces à dominante rurale, qui comptent 55 % de l’emploi européen !


On voit bien dès lors que les statistiques INSEE sont notoirement insuffisantes pour approcher les enjeux du monde rural. Plus grave encore, l’INSEE ne parle même plus de monde rural mais plutôt de “communes isolées en dehors des pôles” !!! Cela revient clairement à mettre le monde rural à la poubelle !