La France mène-t-elle encore une politique industrielle ? Du président Georges Pompidou (1969) au gouvernement de Pierre Mauroy (jusqu’en 1984), il existait un Ministère de l’Industrie. Puis celui-ci s’était fait absorber par le pool ministériel de Bercy. 

 

L’industrie avait retrouvé quelques couleurs avec le Ministère du Redressement Productif (Arnaud Montebourg en 2012), mais qui intégrait tout de même les postes, l’internet, le tourisme, l’artisanat... Aujourd’hui, depuis la start up nation du président Macron (2017), il n’existe même plus de Secrétariat d’État à l’industrie. « Le décrochage a commencé son œuvre de sape, de destruction, au moment où le numérique prenait son envol, au moment où il s'avérait nécessaire de rajeunir et de repositionner notre « outil » de production. Alors que le Japon ou encore la Corée du Sud allaient mettre toutes leurs forces, publiques et privées, dans la bataille, en France il était de bon ton de se railler de l'industrie et de rêver d'une économie « fabless », sans usine. Dix ans après, on voit où cela nous a menés ! »

 

1.Qu’est-ce que l’industrie ?

Un tournant s’était produit après les Trente Glorieuses, lorsque l’industrie a perdu des entreprises et des salariés par pans entiers. La part de l’emploi du secteur secondaire avait chuté de 24% en 1978 à 16,6% en 2005 (données SESSI) . Articles et ouvrages s’étaient alors répandus autour de l’idée de déclin . Deux facteurs étaient couramment avancés pour expliquer la contraction de l’activité : les délocalisations vers des pays à faibles coûts de production et, pour le nombre d’emplois, les gains de productivité. Cela étant, l’instabilité des implantations manufacturières est un phénomène aussi ancien que l’industrie. Au XIXe siècle, les luddistes anglais allaient briser les machines des usines qui avaient ruiné le travail domestique. En 1904, Paul Vidal de la Blache écrivait déjà que « la question se pose donc ainsi. Comment peut-on dégager ce qui est permanent et solide, ce qui restera de ce qui est condamné à disparaître ou du moins à se transformer ? » À la même époque, l’économiste Joseph Schumpeter évoquait « la destruction créatrice » en tant que source de croissance économique.

Saskia Sassen évoque une « économie d'extraction » pour caractériser notre monde fondé sur la finance . Derrière son apparente complexité, cette extraction des richesses conduit à l'expulsion des individus, des entreprises ainsi que des lieux physiques. « L'oppresseur » est difficilement identifiable, entre technologie, individus et réseaux au sein de l'archipel métropolitain. Le processus est ainsi le suivant :

Mondialisation financière > métropolisation > expulsion des exclus du jeu (relégation, confiscation, incarcération, sortis des statistiques) > risques de révoltes >néoconservatisme et dégradation des libertés.

Mais comment définir l’industrie ? La confusion entre l’industrie manufacturière et l’industrie en général est fréquente. « Industrie touristique » ou encore « industrie cinématographique » sont des expressions banales. De nombreux actifs du secteur secondaire effectuent plutôt des tâches de type tertiaire alors que le comportement de type ouvrier (forte conscience d’appartenance, solidarité horizontale) est par exemple typique de la SNCF, une activité classée dans le secteur tertiaire. Si les physiocrates du XVIIIe siècle entendaient par « industrie » l’ensemble des activités économiques, la définition de Colin Clarke en 1940 de la répartition des activités en trois secteurs avait mis en avant la notion d’industrie manufacturière pour le secteur secondaire.

Dans les faits, l’activité manufacturière est devenue le parent pauvre de la chaîne de valeur. Ainsi Louis Schweitzer, quand il était PDG de Renault : « Nous sommes dans un métier un peu besogneux, où il faut suer sang et eau pour faire trois à quatre points de marge bénéficiaire » (AFP, février 2002). Quant aux travaux de Michael Porter, ils ont montré qu’il y a désormais davantage d’argent à gagner avec l’amont (comme la conception et la recherche-développement) et l’aval (comme la commercialisation et la logistique) de la production manufacturière.

Croquis 1 : Le renversement des profits dans la chaîne de valeur

 

En son temps (elle a été supprimée en 2014), la DATAR préférait évoquer des « mutations industrielles » plutôt que « la désindustrialisation ». Elle soulignait que la part de l’industrie dans le PIB français était restée stable en vingt ans : 19,5% en 2002 contre 20,1% en 1978. Elle proposait de développer des pôles de compétitivité, de faire émerger des réseaux et des clusters, de percevoir l’internationalisation comme une opportunité et non comme une contrainte. La balle était donc renvoyée dans le camp des territoires et dans leurs capacités à se mettre en ordre de bataille face à de nouveaux défis ; la bienveillance de l’État jacobin était sollicitée.

Dans l’index d’un ouvrage de référence , le terme « territorialization » renvoie à huit entrées différentes avec en particulier l’article de Michael Storper « Territories, Flows and Hierarchies in the Global Economy ». Cet auteur évoque la territorialisation dans le contexte de l’économie globalisée. Il souligne que la croissance économique se « déterritorialise » (dans la littérature anglophone, elle est souvent footloose) et qu’elle semble douée d’ubiquité, en particulier du fait de l’action des sociétés multinationales qui intègrent de nouveaux espaces dans leurs plans de croissance. Ainsi, les entreprises les plus importantes le deviennent de plus en plus à la faveur d’une économie fondée sur les flux. Elles ont l’espace mondial pour champ d’action, avec une propension à créer des oligopoles contrôlant sévèrement leurs fournisseurs (global players).

Mais, en même temps et de manière contradictoire, émerge une territorialisation fondée sur les interdépendances et les spécificités. Pour Storper, celles-ci résident dans le facteur travail, qui est construit sur un système de relations animé par des règles du jeu pas entièrement codifiées, avec de nombreuses externalités, et sur le facteur technologique, où il distingue les territoires forts de leur capacités d’innovation (ceux de la haute technologie) et ceux qui brillent par leurs capacités de différenciation (ceux des basses technologies ; ou encore le secteur de la mode). En fin de compte, la territorialisation dépend des ressources spécifiques d’un lieu. Une activité est territorialisée lorsqu’elle valorise des ressources que l’on obtient difficilement ailleurs. À la limite, le territoire qui met totalement ses spécificités (s'il en a !) en valeur obtient le monopole sur un bien ou un service donné sur l’ensemble du marché mondial. Place doesmatter...

C’est ainsi que le territoire peut fonctionner comme un système localisé, organisé et volontariste. Placé au cœur de la réflexion géographique, il ne peut plus être considéré comme une donnée ou comme un cadre (naturel, historique, culturel, administratif, politique) défini a priori. Il repose sur l’idée d’une construction et d’un projet. Pour les acteurs du territoire (« forces vives », « société civile », administrations et entreprises), il ne s’agit plus seulement de collecter des observations et des éléments d’analyse, d’ajouter telle ou telle institution ou infrastructure pour espérer un fonctionnement harmonieux ou efficace. « L’aménagement du territoire » a laissé la place à « l’intelligence territoriale ». « La dynamique des réseaux l'emporte sur le contrôle des territoires » (Olivier Dollfus).

 

2.La ruralité sur la sellette

Dès les années 1990, les géographes de Birmingham  avaient évoqué l'idée d'une partition du monde entre les first class cities(les métropoles) et la lumpenplanet(!) . En France, les travaux de Christophe Guilly vont dans le même sens (Fractures sociales, 2010). On en revient à l'idée des territoires « qui gagnent » et « qui perdent »  . Ou encore à Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA, invité à Strasbourg Eurométropole le 22 janvier 2015 : « Dans dix ans, 600 métropoles, dont seulement 6 à 10 villes françaises, produiront 80% de la richesse mondiale ».

C’est dire que la ruralité devient problématique.

Les Systèmes Productifs Localisés (SPL)

Fondamentalement, les SLP sont des « survivants » face à la vague fordiste qui n’a pas tout balayé sur son passage. Une sorte de patrimoine industriel resté vivant… Dans ces conditions, comment l’insérer dans la modernité et en faire un support pour la croissance ? Et comment intégrer ce corpus dans la stratégie aménagiste de l’État ?

En Italie, on s’est intéressé aux SPL dès les années 1970, lorsque l’université de Bologne mettait en évidence que la « Troisième Italie » offrait une stratégie de sortie de crise, à un moment où le triangle industriel Milan – Turin – Gênes vacillait sur ses bases et que le sud restait toujours à la traîne. Les Italiens remarquaient alors qu’un « vieux » SPL (ou cluster) était capable d’innover (on parle alors d’un SLI, Système Local d’Innovation). Un SPL/SLI offre trois caractéristiques :  

> Une population de firmes, en général des PMI et des TPE, est dédiée au même marché.

> Ce marché est global, ce qui contraste singulièrement avec la faiblesse traditionnelle à l’exportation des PMI françaises.

> Les externalités sont positives (la confiance garantit de bonnes relations entre les acteurs, l’apprentissage se diffuse dans la communauté). Elles se traduisent par des associations formelles, avec pignon sur rue, ou informelles.

> Il s’agit d’un petit territoire, souvent localisé dans un endroit inattendu, et robuste grâce à une culture partagée.

Néanmoins, dans les années 2000, la Troisième Italie a tout de même connu un déclin de sa production manufacturière ; la confection, par exemple, a été délocalisée dans des pays comme la Roumanie.

Des SPL aux pôles de compétitivité

La France est entrée dans la problématique SPL dès la fin des années 1990. Après une enquête menée en profondeur, la DATAR avait cartographié les SPL réels et virtuels (ces derniers étant dépourvus de structure de coopération). Parmi les « vedettes », on comptait le Choletais, la vallée de l’Arve, le sud du Jura… Sur le fond, le Choletais constitue :

-Une marge oubliée, à cheval entre la Vendée et le Maine-et-Loire, sans accès autoroutier direct, dans un pays de bocage alliant la petite industrie de transformation (« les mouchoirs de Cholet », autrefois) à la polyculture.

-Un territoire marqué par le conservatisme : emprise catholique (écoles professionnelles confessionnelles, syndicalisme chrétien), terre de travail et de consensus, valeurs désuètes (honnêteté, simplicité, petits salaires, acceptation des « coups durs » comme les faillites ; les jeunes cadres « importés » souffrent et restent rarement longtemps, ce qui constitue un problème…). Un adage local : « Le soir, le dernier ouvrier qui part éteint la lumière et ramène la clé de l’atelier chez lui ».

De refonte en refonte, les pôles de compétitivité ont agrandi leurs périmètres, se sont dilués, et  s’ils permettent d’obtenir quelques subventions, leurs résultats semblent bien ternes.

Stigmatisation de la ruralité

C’est un cliché que de dire que la ruralité a toujours été toisée de haut par les urbains, et notamment ceux de la capitale. Le processus de métropolisation/mondialisation a aggravé le phénomène en creusant les inégalités territoriales et sociales. 

La ruralité ouvrière subit un double déclassement… Mais elle invente de nouvelles formes de sociabilité. Selon Benoît Coquard, un sociologue de l’INRA, « l'avenir des cantons dépeuplés paraît suspendu à des décisions qui, du jour au lendemain, semblent venir d'ailleurs, comme si elles « tombaient du ciel », à l'instar des délocalisations d'usines ou des fermetures d'hôpitaux, l'implantation d'un site de déchets nucléaires ou d'une nouvelle base militaire, etc. Toutes ces décisions peuvent bouleverser — dans l'indifférence générale — le destin des classes populaires installées loin des grandes villes, en leur redonnant (ou non) l'opportunité de trouver, comme on dit, une « bonne place », en obligeant (ou non) les nouvelles générations à partir faire leur vie ailleurs. Face à cette incertitude, la maîtrise d'un espace familier et la reconnaissance de « ceux d'ici », qui font toujours partie du « décor », ont une fonction rassurante. Parce qu'en dépit de leur position sociale objectivement dominée, dans leur grande majorité, les habitants de ces zones rurales sont malgré tout, dans leur vie quotidienne, considérés comme des personnes importantes, de qui on parle beaucoup, et qui, parfois, peuvent représenter de véritables modèles d'accomplissement locaux. Voilà ce que révèlent plusieurs années à observer le quotidien et à écouter les récits des membres des différentes « bandes de potes » ou « clans » d'amis » .

Ainsi les relations interpersonnelles permettent de sauver la situation de « ceux qui restent ». Mais la souffrance est réelle par rapport au sentiment d’abandon, dont les scores électoraux de l’extrême-droite et l’abstention fournissent en quelque sorte la température.   

 

3.L’industrie en Haute-Saône

Une longue histoire

La Haute-Saône a été une terre manufacturière dès la révolution industrielle, et même dès le moyen-âge avec par exemple la verrerie de Passavant-la-Rochère fondée en 1475. La vallée de l’Ognon, notamment, avait abrité des forges dès le XVIIIe siècle; par la suite, le charbon de Ronchamp alimentait les machines à vapeur mulhousiennes ; textile et métallurgie prospéraient au pied des Vosges. Le tout en l’absence de ville d’importance. « La Haute-Saône n’a point de grandes villes et la plupart des habitants s’occupent d’agriculture ; cependant, l’exploitation des mines de houille, de fer, de lignite, de sel gemme, et certaines industries, telles que le coulage de la fonte de fer, le tissage des étoffes, la fabrication des faïences et des poteries, la préparation du kirsch, ont une certaine importance », écrivait Elysée reclus en 1883 .

Dans les années 1990, l’industrie haut-saônoise comptait environ 17.000 salariés et 170 établissements. À Vesoul, l’usine PSA dominait déjà le paysage avec environ 2.700 emplois. Les meubles Parisot venaient ensuite avec plus de 900 emplois et les Tréfileries de Conflandey (la NASA avait emporté ses agrafes sur la Lune...) venaient ensuite avec plus de 600 emplois. 80 % des établissements industriels étaient des PMI de moins de 100 salariés. La Haute-Saône était très active dans les secteurs du bois, des meubles, du papier, dans la métallurgie, la plasturgie et l’industrie automobile. 

La crise avait été sévère dans le textile (comme à Héricourt), mais il restait encore Christine Laure à Gray et Cotexlor à Saint-Loup-sur-Semouse. Dans la machine-outil, Waltefaugle (Dampierre-sur-Salon) avait défrayé la chronique avec une mini-tour de La Défense en guise de siège social et des manipulations comptables qui n’avaient pas sauvé la firme. Les investissements venus de l’étranger étaient faibles mais réels avec notamment un groupe finlandais fabricant de déneigeuses d’aéroport à Lure. Toujours à Lure, le laboratoire vétérinaire Vétoquinol (335 salariés) avait été crée par un entrepreneur originaire de la ville.

Le phénomène manufacturier s’expliquait alors selon trois axes de compréhension :

- Celui d’un exemple caractéristique de région rurale désindustrialisée.

- Celui d’un faux désert industriel du fait de sa structure clairsemée mais diversifiée où aucun secteur n’atteignait 15 % de l’effectif salarié.

- Celui d’un espace double, organisé d’une part autour de Peugeot et d’autre part autour des PMI.

L’innovation constitue un problème grave pour les petites entreprises. Le Conseil Général avait créé Action 70, une société d’économie mixte (Conseil Général 70 %, banques 30%). Elle avait déposé une marque, Green Tech Center, destinée à la promotion des technologies liées à la protection de l’environnement. Beaucoup de cadres rechignaient à l’idée de faire carrière en Haute-Saône, et leurs conjoints encore davantage .

Une étude à mener

Il nous manque une analyse explicite de la situation de l’industrie en Haute-Saône.

 

4.Quelques pistes de réflexion

Et si nous étions à un tournant avec la crise du Covid-19? Cela fait plusieurs décennies que la mondialisation subit le feu des critiques, en particulier dans le monde des militants écologistes et gauchistes. Leurs critiques ont été ignorées ou bien absorbées par le green washing. Aujourd’hui, la problématique n’est plus militante, mais elle est devenue une question socialement vive. Le 12 mars 2020, devant 24 millions de téléspectateurs, le président Macron a estimé qu’il faudra « interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour » avec la crise du Covid-19. Prise de conscience, ou paroles de circonstance, et avec quelles conséquences une fois la pandémie vaincue ? 

Aux États-Unis, du fait de la crise des subprimes, le président Obama n’avait-il pas dit peu ou prou la même chose sur les marches du Capitole en 2009 ? « Notre économie est gravement affaiblie, conséquence de la cupidité et de la responsabilité de certains, mais aussi de notre incapacité collective à faire les choix nécessaires pour préparer notre pays à une nouvelle ère ».

Si l’on veut bien donner du crédit à ces belles paroles, au risque d’apparaître naïf, alors la problématique de la relocalisation des activités dans le monde rural est à nos portes. L’histoire n’est pas réversible : il ne s’agit de revenir en arrière, à quelque chose qui ressemblerait aux Trente Glorieuses (avec par exemple 40 % d’actifs ouvriers). Il s’agirait d’imaginer et de concevoir de nouvelles solutions avec de nouveaux concepts.

Qu’est-ce qu’un territoire ?

À la base, tout le problème consiste à savoir si un élément spatial identifié est un territoire ou seulement un espace. Par territoire, on entend une portion d’espace qui est animée par les trois éléments suivants :

- Il se conçoit sur la base d’une identité et d’une culture partagée.

- Il est animé par un jeu d’acteurs qui associe les entreprises, les associations, les élus/l’administration.

- Le jeu des acteurs définit un projet duquel découlera le périmètre du territoire.

A priori, dans les territoires marqués par la ruralité, le jeu des acteurs manque de participants sinon d’enthousiasme . Ce jeu est souvent fragmenté, c’est-à-dire que les acteurs ne communiquent guère entre eux et imaginent mal comment un projet commun pourrait les fédérer .  

Un premier enjeu consiste à savoir sous quelle bannière un territoire rural pourrait se retrouver. Trouver un intitulé fédérateur n’est pas seulement une question de marketing territorial. C’est aussi un résumé, une accroche qui donne un sens à la gouvernance du territoire. Mais un label ne suffit pas, les réalités concrètes viennent ensuite et elles peuvent faire apparaître davantage de facteurs opposants qu’adjuvants. La Haute-Saône, par exemple, avait créé le label Green Tech dans le but d’attirer des entreprises venues de l’extérieur, ce qui était certainement une bonne idée en soi, mais cela n’avait pas fonctionné.   

Industrie et ruralité

Certains territoires sont parvenus à conjuguer industrie et ruralité. Il s’agit souvent de régions de montagne (comme l’Autriche ou les deux Savoie), mais pas nécessairement (Bavière, Taïwan…). Il est frappant de constater que les traditions s’y marient avec la modernité. On y respecte les patrimoines matériels et immatériels, mieux, on les pratique et on les vit, et on les conjugue avec des formes originales d’innovation. Dans le Tyrol, par exemple, le secteur du BTP utilise beaucoup le bois d’œuvre local avec des gestes architecturaux qui peuvent être spectaculaires ou astucieux.

 

Sonnenkopf (Vorarlberg) : jeux pour enfants et restaurant d’altitude. Utilisation libre après la montée en télécabine. RW 2018.

Le maillon faible de ces territoires est l’État, qui apparaît lointain via des structures administratives et politiques de type fédéral.   

Pour ce qui est de l’industrie, plusieurs trajectoires peuvent être évoquées :

- La carte du last standing man consiste à rebondir sur des activités traditionnelles, bien enracinées dans le territoire mais en déclin ou en stagnation. Elles reposent sur un patrimoine culturel qui ne demande qu’à être réinventé au cas par cas.

- La carte du suivisme consiste à faire du benchmarking, à voir ce qui fonctionne ailleurs dans des territoires comparables, et à acclimater ces solutions.

- La carte du prototypage imagine un territoire inédit, un parangon qui deviendrait une référence.

Dans tous les cas de figure s’établit un dialogue entre le dedans et le dehors. Le dedans ne peut offrir toutes les compétences et ressources nécessaires ; et son marché est trop étroit. Il s’agit donc à la fois de ne pas se renier tout en prenant en compte les besoins du monde extérieur.

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[1]Notons que le déclin de l’emploi industriel en faveur de la tertiarisation a été aggravé par les systèmes statistiques. À la faveur de l’externalisation des fonctions, des postes de travail comptés comme « secondaires » sont devenus « tertiaires ».

[2]Cf. N. Baverez, La France qui tombe, Paris Perrin 2003. Dans Alternatives Économiques, G. Duval, La France est-elle encore dans la course ? N°201 mars 2002. Dans Le Monde, M. Gauchet, 2 octobre 2003.

 

[3]Sassen S., 2016, Expulsions, brutalité et complexité dans l'économie globale, Paris Gallimard.

[4]Voir http://www.lboro.ac.uk/gawc/

[5]Jeu de mots : pour Karl Marx, le Lumpenproletariat, le prolétariat en haillons des journaliers et des travailleurs sans qualification, était placé tout en bas de l’échelle sociale. Notons que la racine germanique Lump a été appliquée à un peuple en Suède : les Lapons, qui ont milité pour être désormais nommés Sami. 

[6]Benko G., Lipietz A., dir., 1992, Les régions qui gagnent, Paris PUF.

[7]Coquard B., 2019, Ceux qui restent, Paris La Découverte, 211 p., cf. p. 200.

[8]Reclus É., 1883, Nouvelle Géographie Universelle, tome 2, Paris Hachette, 959 p., cf. p.382.

[9]Woessner R., 1996, Mythe et réalité de l’axe Rhin-Rhône, thèse de géographie, Université de Franche-Comté, tome 1, 531 p. et annexes.

[10]Regards croisés sur les territoires de marge(s), Groupe de recherche RITMA, Maison des Sciences de l’Homme de Strasbourg, sous la direction de Jean-Alain Héraud et Henri Nonn, Presses Universitaires de Strasbourg 2001, 239 p.

[11]Florida R., 2002, « The rise of creative class », Washington Monthly, may 2002.