Les communautés de communes en milieu rural, malgré une histoire récente, ont considérablement fait évoluer et ont surtout mobilisé et équipé un monde rural qui avait peu bougé en 50 ans. Il faut en prendre conscience et ne pas passer sous silence tout ce qu’elles nous ont apporté. Elles ont permis la rencontre et le dialogue entre maires bien souvent isolés dans leurs problèmes communaux. Depuis une dizaine d’années, cependant, l’intercommunalité est devenue une affaire technique, meublée de dispositifs compliqués de transferts de charges, d’intégration fiscale et autres processus très complexes. Ce ne sont que des outils, certes utiles, mais on a perdu, via ce prisme technique et financier qui nourrit l’individualisme des élus, les deux fondements de l’intercommunalité issue des lois Chevènement (1999) : l’esprit coopératif et la collégialité.
Pour mobiliser les élus locaux, il faut revenir à des principes simples et que l’État arrête de changer sans cesse les périmètres géographiques et les blocs de compétences. Le rapport Raffarin- Krattinger de 2013 (Des territoires responsables pour une République efficace) a insisté sur trois principes de base :
- l’intercommunalité est le lieu de faisabilité des projets qu’on ne peut réaliser seul et de gestion de services qui requièrent une autre échelle dans une logique de subsidiarité ;
- la raison d’être et la force de coopération sont de pouvoir conduire ensemble des projets communs d’aménagement et de développement de l’espace communautaire ;
- la solidarité intercommunale doit être maintenue dans une logique collégiale, fondement sur lequel elle s’est développée et a prouvé sa réussite, c’est la clé de la cohésion de ce bloc de plus grande proximité et du succès de ses projets.
Une fois ces principes simples réaffirmés dans la manière de mener l’action intercommunale, la question de la démocratie intercommunale doit également être traitée. Aujourd’hui, si un sondage était réalisé auprès de nos concitoyens au sujet de l’intercommunalité, il y a fort à parier qu’elle serait jugée sévèrement et mise de côté… alors qu’elle a pourtant tellement fait pour le monde rural en cultivant un grand nombre de compétences jusqu’alors totalement délaissées ! L’émergence des nouvelles communautés villageoises repliées sur elles-mêmes est une explication de cette vision négative mais ce n’est pas suffisant. Le fonctionnement même de l’intercommunalité doit évoluer, nous formulons donc deux propositions majeures.
La première proposition consiste à repositionner le rôle d’élu municipal en milieu rural dans les communes de moins de 2000 habitants autour de deux missions simples, nobles et reconnues comme telles par la nation. La première mission de ce “nouvel élu” en ferait un catalyseur du collectif villageois pour reconstruire du lien social et des solidarités. Autrement dit, nous faisons le pari que l’élu municipal constitue une des meilleures ressources pour inventer de nouvelles formes de sociabilité aptes à consolider des relations d’écoute, d’entraide et de respect, soit les questions clés pour l’avenir de notre modèle de société.
Sa deuxième mission serait d’être aussi le relais de la commune et de ses habitants au sein de l’intercommunalité. Nous avons souligné la problématique des petites communes au sein de l’EPCI aujourd’hui élargi. Il faut donc donner à l’élu municipal ce rôle de relais de proximité au sein de l’intercommunalité. Il pourrait ainsi faire remonter des éléments de terrain, utiles à la conduite des politiques portées par l’intercommunalité, dans des collèges d’élus (pendant le processus de préparation des décisions) et au sein du conseil communautaire par la participation aux débats, mais aussi en assurer la mise en oeuvre pratique dans la commune.
Par exemple, l’intercommunalité peut définir un programme d’amélioration de la ressource en eau potable sur 10 ans avec des principes techniques, financiers et politiques d’action mais c’est l’élu municipal qui serait chargé de veiller sur la configuration de ce programme dans sa commune de par sa connaissance du réseau, sa proximité avec les usagers, et sa capacité à faire remonter les besoins de ses concitoyens. Cela permettrait de construire un cadre commun de responsabilités claires et valorisantes pour tous les acteurs.
La deuxième proposition vise à donner davantage de légitimité populaire à l’exécutif de l’intercommunalité : l’élection au suffrage universel direct du ou de la président(e) de l’intercommunalité (élection directe par les habitants) tout en conservant l’élection au suffrage universel des délégués communautaires dans chaque commune séparément pour représenter les habitants de toutes les communes. Le ou la président(e) élu(e) ne serait pas issu(e) du collège des délégués communautaires. Cette formule demanderait à l’exécutif de bâtir une gouvernance équilibrée au niveau des communes, au niveau politique et au niveau de l’égalité hommes-femmes. Ce n’est finalement que se rapprocher, dans une certaine mesure, du dispositif qui prévaut dans les mairies d’arrondissements des grandes villes, ou du binôme homme-femme de conseillers départementaux qui a été une réponse pragmatique à une évolution sociétale.
Nous devons actuellement nous interroger sur la légitimité d’un président de communauté de communes, lui-même maire d’une commune de quelques centaines d’habitants, qui gère dans sa commune un budget de 120 000 euros et dans la communauté de 13 000 habitants un budget de 15 000 000 euros avec quatre ou cinq budgets annexes qui correspondent aux nombreuses compétences transférées : développement économique, crèches, construction et gestion des écoles maternelles et primaires, relais assistantes maternelles, accueil périscolaire et extrascolaire, restauration scolaire, collecte des ordures ménagères, piscines, gymnases, diverses salles de sport, eau, assainissement, service public à l’assainissement non collectif, gestion des milieux aquatiques et protection contre les inondations, réhabilitation du petit patrimoine, construction des routes forestières, etc.
Sachant que ce président de communauté adresse aux habitants les factures des redevances liées à la mise en oeuvre de certaines de ces compétences et aussi l’impôt. Quelle est actuellement sa légitimité aux yeux des citoyens qui résident dans le périmètre communautaire mais pas dans sa commune ?
Nous devons y réfléchir.