Le dernier rapport du CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires) en 2018 souligne que l’accès aux infrastructures de très haut débit (THD, supérieur à 30 Mb/s) s’améliore chaque année. Toutefois, les disparités restent très importantes entre les territoires, au détriment des espaces ruraux bien sûr. En effet, ces derniers ne sont pas ou très peu traités par les opérateurs privés qui sont restés sur les zones denses et rentables. En milieu rural, ce sont les collectivités territoriales avec un soutien important du plan national THD qui s’en occupent.

Les chiffres 2016 montrent que 48 % des locaux sont éligibles au THD au niveau national soit 4 points de mieux que l’année 2015. La progression est donc constante et concerne l’ensemble du territoire national mais certaines régions partent de plus loin. En Île-de-France, région la mieux dotée, 74,3 % des locaux sont éligibles au THD contre seulement 34,6 % en Bourgogne-Franche-Comté. Cela passe du simple au double et au sein des régions en retard seules les plus grandes villes commencent à être couvertes.

Par ailleurs, toujours dans le même rapport officiel, les différentes enquêtes sur la diffusion des technologies mettent aussi en relief des disparités dans les usages et les compétences numériques entre territoires selon la taille des agglomérations. Là aussi, les disparités se réduisent entre campagnes et grandes agglomérations mais elles demeurent très importantes. C’est un constat, les territoires ruraux ont dû concevoir et financer partiellement leurs réseaux numériques alors que les zones urbaines sont couvertes par des opérateurs privés sans participation financière, ni d’ingénierie publiques dédiées ! Peut-on parler d’égalité réelle entre les territoires ? La question est de nouveau mise sur la table. Les départements ruraux, compétents de par la loi, ont fait preuve dans leur grande majorité d’une exceptionnelle volonté pour agir sur ces champs nouveaux. La multiplication des réseaux d’initiative publique (RIP) en témoigne. Le déploiement y est même parfois plus rapide que pour les opérateurs privés dans les agglomérations, c’est un comble !

Faut-il pour autant fustiger l’État ? Très objectivement, non. Il faut même souligner la position française très volontariste en Europe dans le traitement de l’aménagement numérique du monde rural. Les différents plans THD initiés sous les présidences Sarkozy, puis Hollande et maintenant Macron ont pris le
problème à bras-le-corps. Bien sûr tout cela ne va pas assez vite et il a fallu batailler pour adopter des plans soutenables techniquement et financièrement avec l’aide de l’État et des régions mais globalement une réponse est apportée.

Sur le volet des usages numériques, l’État essaie très récemment également de jouer le jeu avec le plan gouvernemental de 2018 pour “un numérique inclusif” ou bien encore pour “le numérique à l’école” même s’il existe des manques sur le traitement des personnes âgées (dont environ un tiers sont complètement exclues des usages numériques) et s’il ne va pas assez loin sur l’interopérabilité des plateformes de services publics numériques entre l’État et les collectivités. Là aussi, l’État essaie de donner un cadre et une impulsion, mais pas suffisamment.

La prise de conscience a donc lieu depuis 2010 et il faut s’en féliciter car nous considérons que le numérique est une chance historique pour le monde rural, auquel il doit permettre de faire face à une grande partie des défis auxquels il est confronté. L’étude Que peut le numérique pour les territoires isolés ? (2018) fait le pari que la transition numérique dans les territoires isolés peut répondre à un impératif de développement économique et à une ambition d’inclusion sociale et civique. Les nouveaux usages et outils permettent ainsi d’envisager un développement économique différent, plus déconcentré, une qualité des services publics et de santé réellement égalitaire sur l’ensemble du territoire national et de redonner des potentialités de développements résidentiels à des populations qui devaient jusqu’alors vivre et travailler dans les grands centres urbains.

La transition numérique permet d’accompagner aussi une nouvelle transition agricole et, avec des moyens peu coûteux, d’optimiser la production notamment sur le plan environnemental. Au niveau touristique, elle ouvre également des potentiels inespérés pour le monde rural. Par exemple, un tiers des villages français ont au moins une annonce Airbnb alors que deux tiers de ces villages ne comptent aucun hôtel. Ainsi, 123 000 personnes ont été accueillies par ce biais, ce qui a généré 14 millions d’euros de revenus supplémentaires pour ces territoires en cinq ans. C’est un premier pas.

Les retombées économiques locales peuvent être significatives, via les travaux de réparation, de rénovation et d’entretien engagés par les propriétaires ou via les dépenses réalisées sur place par les touristes (loisirs, achats de produits locaux, etc.). Le déploiement de la télémédecine fournit aussi une réponse à l’enjeu d’accessibilité aux soins et du maintien à domicile des personnes âgées, sous réserve de lever certains freins liés au droit et aux remboursements, mais les technologies sont prêtes. Il est possible également de favoriser, par le télétravail ou au sein de lieux de coworking, le retour de certains salariés dans les territoires plus isolés ; même si le cadre légal récent fait peser encore trop de contraintes sur les entreprises et les salariés désireux de s’y lancer, la dynamique se prépare.

L’e-administration constitue enfin une avancée dans la lutte contre les inégalités territoriales en matière d’accès au service public, comme le démontre le recours à la déclaration fiscale en ligne. Cette transition numérique apporte également des éléments de réponse pour l’autre grande transition à l’oeuvre actuellement : la transition écologique. On voit bien que la transition numérique, si elle est ambitieuse et accompagnée, permet de réenclencher un cycle vertueux pour le monde rural et de lutter contre une triple fracture : territoriale, générationnelle et socioculturelle. Lors du dernier événement Ruraltic fin août 2018, de nombreuses initiatives locales en milieu rural ont encore été valorisées : des cafés numériques, un smart village pour la maîtrise de l’énergie, des espaces de coworking, des fablabs…

Cette ambition numérique rurale, tant au niveau de la couverture numérique que des usages, ne doit pas être sacrifiée par Bercy et les grands comptables de l’État qui ne considèrent pas, à tort, cet effort comme un investissement productif d’avenir. Ce chantier d’une petite dizaine d’années doit être érigé en priorité nationale pour le monde rural et sanctuarisé dans le budget national y compris en se mobilisant pour le compléter par des fonds européens permettant un fort effet levier.

 

Sur cette base, quatre dispositions techniques doivent également faire l’objet d’avancées rapides et concrètes :

- 1re disposition : mieux définir le mix* technologique THD en milieu rural, alternatif à la desserte FTTH*, et le rendre compatible avec les règles de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP*). En effet, certains villages s’en trouvent actuellement exclus du fait de leur petite taille (moins de 50 lignes), ce qui empêche les aménageurs de préparer la suite ; cette obstruction doit être levée très rapidement.

- 2e disposition : intégrer au sein du Fonds de solidarité numérique le financement par l’État dans une période intermédiaire (2019-2024) de la desserte FTTH des sites prioritaires ayant un besoin numérique urgent au sein des zones non couvertes par des plaques FTTH à moyen terme (locaux à vocations médicale, médicosociale, économique, touristique, médicale, administrative, éducative…) et ce en avance de phase, cette infrastructure servant dans les années suivantes pour la deuxième phase de déploiement de la fibre optique jusque chez l’abonné. Nous avons défini en Haute-Saône une méthode d’identification et de desserte FTTH de ces sites. Elle est soutenue financièrement par la seule région Bourgogne-Franche- Comté.

- 3e disposition : prendre des dispositions législatives pour contraindre les opérateurs privés à tenir les engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de l’État pour la couverture mobile 4G des zones blanches et permettre ainsi à l’ARCEP de les contrôler réellement et de les sanctionner le cas échéant. Le non-respect
par les opérateurs des conventions signées entre l’État, les collectivités et les opérateurs en 2008-2010 pour le déploiement des pylônes de téléphonie mobile a laissé des traces dans les territoires ruraux. Nous procédons en Haute-Saône à notre propre campagne de mesures pour rééquilibrer le rapport des négociations avec les opérateurs.

- 4e disposition : sur la base des schémas départementaux des usages numériques (SDUN*), prendre les dispositions législatives pour obliger tous les services de l’État à intégrer les plateformes numériques de services publics et les systèmes d’informations géographiques (SIG*) partagés avec les collectivités (communes, communautés de communes, départements). L’État prononce de grands discours mais, dans la pratique, il est très réticent à rejoindre les initiatives numériques portées par les collectivités qui fournissent pourtant à ce jour plus des trois quarts des services aux publics. L’idée de base est de permettre un accès unique, rapide et simple aux citoyens (login, mot de passe et espace personnel unique certifié par France Connect) pour un large bouquet de services : payer ses impôts à l’État, inscrire les enfants et payer sa facture au périscolaire et à l’extrascolaire de la communauté de communes, payer ses ordures ménagères au syndicat compétent, consulter l’Espace Numérique de Travail des enfants inscrits au collège géré par le département, inscrire les enfants aux transports scolaires gérés par la région, retirer sa carte de piscine gérée par la commune… Ce projet est en cours en Haute-Saône mais l’État argue de principes de sécurité pour ne pas intégrer ce bouquet de services numériques mutualisés.

- 5e disposition : chaque département serait conduit, rapidement, à créer une commission élargie chargée d’identifier les services publics numériques des années 2020 et aussi la manière dont ils doivent être mis en oeuvre notamment en définissant les formes de la médiation numérique à construire pour accompagner et ne pas exclure certains publics (personnes âgées, personnes en difficultés sociales ou en rupture culturelle avec ces nouveaux outils…).