De manière très surprenante, l’éducation ne constitue pas un secteur prioritaire des politiques d’aménagement du territoire et d’accès aux services publics. Ce constat n’est pas mis en avant par des élus locaux en colère contre des fermetures de classes, mais il est issu du rapport de la “mission rurale” conduite par deux inspections générales de l’Éducation nationale et remis au ministre de l’Éducation nationale J.-M. Blanquer le 2 octobre 2018. D’ailleurs, ce dernier a accueilli favorablement la recommandation centrale de ce rapport visant à “adapter l’organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux”.

Cela s’apparente clairement à une prise de conscience de l’Éducation nationale qui s’est dans le passé plus concentrée sur les éléments démographiques (combien d’élèves ?) que sur une approche globale et transversale de l’éducation dans le monde rural (problématique des transports, manque d’ambition généralisé, moyens financiers limités…). Il n’y a qu’à voir comment a été appliquée de manière brutale et homogène la réforme des rythmes scolaires en 2013-2014 pour s’en convaincre. Les maires ruraux ont bien souvent dû fabriquer à la hâte une offre de services périscolaires de toutes pièces, se battre avec certains professeurs des écoles pour disposer de locaux partagés, car les murs ne sont pas extensibles, et construire une offre de transports scolaires sur mesure. Puis, un an plus tard, ils ont été mis sous pression des professeurs des écoles et des parents pour tout arrêter sans considérer le bien-fondé pour les enfants. Cet épisode malheureux a laissé des traces dans nos territoires et il a mis en lumière les limites des mécanismes décisionnels actuels.

L’approche plus transversale, plus agile et surtout collant aux spécificités des territoires ruraux, prônée très récemment, va donc dans le bon sens. Le climat a changé sur ces sujets et il faut s’en féliciter. Il faut aussi se donner du temps et affiner les outils : conventions de ruralité, dispositifs de type REP ruraux (réseaux d’éducation prioritaire), plan mercredi pour le périscolaire, accompagnement sur la durée et maintien de la compétence scolaire facultative pour les EPCI visant à privilégier une décision réfléchie et mûrie avec les communes… Il doit aussi apparaître clairement dans la réflexion nationale qui est initiée, une volonté et des outils pour traiter le manque d’ambition des jeunes élèves ruraux. À l’heure d’un monde ouvert et connecté, plus rien ne doit justifier ce manque d’ambition de fait qui se traduit par un taux de poursuite dans les études supérieures plus faible que celui de la moyenne française, y compris et surtout pour les filles.

Fort de cette assise nationale naissante qui doit encore être confirmée, nous proposons d’ouvrir bien davantage l’école et le collège sur leur environnement direct avec des objectifs d’excellence et une ambition forte de construire la scolarité de demain. Cela revient aussi à considérer comme un atout les conditions d’exercice scolaire en milieu rural via une ouverture naturelle et une prise directe avec le territoire et ses acteurs en dehors du champ scolaire (associations sportives, culturelles, entreprises, collectivités…). Cela revient aussi à construire un nouveau fonctionnement des lieux d’enseignement avec, d’un côté, le volet pédagogique qui doit permettre à l’Éducation nationale de se recentrer sur son coeoeur de métier en crise ces dernières années et, de l’autre, la gestion des sites scolaires par les collectivités qui ont fait leurs preuves depuis les premiers transferts de compétences mais doivent encore approfondir le service qu’elles délivrent. Deux orientations, qui incombent à l’action et aux compétences des acteurs ruraux eux-mêmes et pas directement à l’Éducation nationale, peuvent ainsi être enclenchées rapidement :

La première orientation consiste à faire du collège situé en milieu rural un équipement (culturel, sportif, numérique…) mutualisé, partagé 365 jours par an et ouvert à tous. Cela permettrait de mutualiser des équipements existants alors que les bourgs ruraux ont du mal à créer ou rénover en profondeur leurs équipements sportifs, culturels, associatifs… Les départements ont le plus souvent abondamment modernisé les collèges à la suite de la première décentralisation, avec par exemple des salles de musique ou des centres de documentation et d’information (CDI) de grande qualité, équipés numériquement. Alors pourquoi ne pas les mutualiser ? Pourquoi ne pas en faire profiter hors temps scolaire (le soir, les week-ends, pendant les vacances scolaires) les forces vives du territoire ? Dans ces conditions, les CDI deviendraient par exemple des centres de connaissances et de culture (3C). C’est aussi le sens de la préconisation du Haut-Conseil à l’éducation artistique et culturelle (HCEAC*) quand il suggère d’ouvrir l’école vers les acteurs extérieurs pour des interventions croisées afin de “faire venir des intervenants extérieurs car l’éducation artistique et culturelle n’est pas uniquement du ressort de l’école et mobiliser pour des collaborations plus fréquentes avec des institutions extérieures les 30 000 professeurs de musique ou d’art plastique dans les écoles de France, qui sont très bien formés.” Il en va de même pour le sport. On peut pousser la réflexion sur la mutualisation des parcs d’instruments ou de matériels sportifs, des salles de réunion et des espaces de restauration scolaire à destination des acteurs du territoire. Cela
demande aussi à spécialiser de moins en moins les espaces au sein des collèges pour permettre des usages multiples.

Le collège ne serait plus un site sanctuarisé mais un site ouvert avec un fonctionnement spécifique à construire : d’un côté le volet pédagogique (Éducation nationale) et de l’autre la gestion du site (département). Cette démarche serait grandement facilitée par le transfert des gestionnaires du collège aux départements qui sont (étrangement) restés à l’Éducation nationale. Des demandes d’expérimentations auprès du Premier ministre sont déposées en ce sens depuis bientôt deux ans par les huit départements de Bourgogne-Franche-Comté. Au-delà des économies en investissement et en fonctionnement à réaliser, le véritable enjeu est l’appropriation et le partage d’un lieu collectif d’éducation entre les élèves et les habitants mais aussi entre les professeurs et les autres acteurs du territoire (associations, entreprises, élus…).

La seconde orientation concerne le premier degré en incitant des formes agiles d’organisation scolaire et de regroupements ambitieux, non pas uniquement pour gagner des postes de professeurs et faire des économies d’entretien mais surtout pour améliorer la prise en charge humaine et logistique des élèves. Cela peut prendre la forme d’organisations permettant une continuité pédagogique du CP à la 6e dit “d’école du socle”. Nous allons profiter en Haute-Saône, à Jussey (bourg de 1600 habitants), de la réhabilitation lourde du collège pour intégrer en son sein l’école maternelle et primaire qui devait être reconstruite. La philosophie de ce type d’approche consiste à ne pas attendre les fermetures de classes mais à être toujours proactif. C’est le sens du concept de pôle éducatif développé en Haute- Saône depuis 1995. Les élus ont anticipé les baisses démographiques en regroupant leurs écoles dans des “pôles éducatifs” (qui comptent de 4 à 14 classes) ce qui occasionne forcément des fermetures. Mais ils préfèrent que la stratégie soit choisie plutôt qu’imposée. Cela permet aussi de proposer aux élèves et aux familles des conditions de scolarisation souvent meilleures à celles de beaucoup de villes (locaux neufs, cantine, équipements périscolaires et sportifs), le tout financé fortement par le département et par l’État sur la base d’une convention spéciale qui labellise ces pôles à partir d’un cahier des charges précis. À ce jour, 42 pôles éducatifs sont nés, non pas sur injonction de l’Éducation nationale ou du département mais sur la seule volonté des élus locaux qui s’organisent, sans se focaliser sur la perte d’une classe dans une commune, mais en raisonnant plus large géographiquement avec une vision d’avenir ambitieuse et noble pour les enfants. Elle permet aussi de mieux articuler les ressources dédiées aux temps scolaires et aux temps périscolaires. C’est là une voie féconde pour le monde rural !