Les travaux de recherche consacrés à la création d’indicateurs alternatifs au PIB sont en vogue depuis une dizaine d’années tout en ayant du mal à percer dans la sphère politico-administrative française et encore davantage dans le grand public. Pourtant, une série de propositions sont sur la table avec la plus connue, l’indicateur de développement humaine (IDH), mais aussi en tenant compte de l’indicateur du vivre mieux ou du bien-être de l’OCDE, l’espérance de vie en bonne santé, l’indicateur social d’inégalités, l’indicateur empreinte carbone, le taux de recyclage des déchets…

Par ailleurs, il faut sortir des seules mesures de richesse territoriale en termes monétaires. Les approches existantes sont, pour le moins, incomplètes, voire très partielles. C’est le cas quand une entreprise dissocie la localisation de son siège et de ses établissements pour placer astucieusement sa valeur ajoutée dans le pays où elle est le moins imposée. C’est aussi le cas pour un certain nombre d’activités (par exemple les associations, les collectivités locales…) qui ne produisent pas de comptes sociaux dans lesquels seraient indiqués chiffres d’affaires et valeur ajoutée par exemple. Se pose enfin la question de la maille géographique de production de ces indicateurs monétaires : bien souvent régionale, elle ne permet pas d’approcher les différences territoriales.

Le développement de ces nouveaux indicateurs de richesse territoriale est une voie primordiale pour un double progrès. Le premier tient à la mobilisation des populations rurales. En effet, un certain nombre de collectivités territoriales de toutes échelles, comme la région des Pays de la Loire, ont développé ces dernières
années dans leurs travaux prospectifs et d’élaboration de schémas ou projets de territoires des indicateurs de richesse pour générer du dialogue territorial et démontrer en quoi, au-delà des indicateurs INSEE standards, leurs territoires pouvaient être sources d’apports différents et bien souvent sur ce qui compte le plus aux yeux des populations : lien social, lien sensoriel à la nature, mesures des inégalités, enjeu collectif d’éducation, rapport au temps. Ces thématiques font directement écho aux “mots de la ruralité”.

Le deuxième progrès vise à rééquilibrer le débat et le rapport de force avec “le tout métropole” à travers la construction d’indicateurs en lien avec les biens communs qui sont universels et non substituables (donc à forts enjeux). Ces derniers sont, pour résumer de manière schématique, de deux ordres : ceux qui permettent la vie humaine (air, eau, sol, biodiversité, soleil…) et ceux qui permettent de faire société (diversité culturelle, éducation, sport…).

Sur le premier type de biens communs (air, eau, biodiversité), la nation doit reconnaître que le monde rural est un formidable puits de ressources, pour l’instant mis gratuitement au service de la frénésie urbaine. Prenons un exemple concret : quand une commune rurale gère “en bon père de famille” ses 800 hectares de forêt publique, elle joue le jeu de la solidarité des biens communs à long terme et ce, gratuitement. Elle ne demande aucune contribution financière à la métropole voisine pour cela. En effet, elle pourrait avoir un raisonnement à court terme en l’exploitant à outrance (comme dans certains pays du globe où la déforestation est dévorante) pour faire place à une activité agricole créant plus de valeur ajoutée locale ou simplement vendre ses bois en quelques années pour se payer les équipements de services que la solidarité nationale lui refuse ! Le monde rural doit revendiquer son rôle de protection et de préservation vis-àvis de l’État qui ne le perçoit plus que comme une charge. En formalisant une série d’indicateurs qui le replacent au centre de certains enjeux vitaux pour l’humanité, le monde rural rééquilibrera fortement son rapport avec les métropoles.

Sur le deuxième type de biens communs (diversité culturelle, éducation, sport…), le monde rural pourrait définir des indicateurs visant à déterminer un panier minimum en termes d’équipements qui permette de “faire société”. Certains évoquaient à un moment la notion de “bouclier rural” mais elle s’avère trop défensive. Pourquoi le monde rural ne pourrait-il pas apporter des réponses dynamiques sur le thème des biens communs qui “font société” et sortent de la seule demande à pallier les manques en équipements ? Cela pousserait aussi les acteurs ruraux à faire preuve d’inventivité et d’une réflexion élargie. La population ne cesse d’augmenter dans les métropoles et pourtant notre société n’a jamais si peu “fait société”. La nation doit-elle continuer à s’entêter dans le “tout métropole” ? La puissance publique doit-elle continuer à favoriser de la sorte la concentration des populations ?