La télémédecine : contexte et définition

Face au vieillissement de la population, à l’augmentation des pathologies chroniques et des maladies graves ainsi qu’au regard de l’inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire, la télémédecine apparaît comme une solution fortement encouragée depuis les années 2000, à l’international comme en France (OMS, 1997). Cependant sa diffusion reste fortement hétérogène selon les pays : si la pratique est très présente au Danemark ou en Écosse (1), la France peine à l’adopter malgré la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) de 2009 et un soutien au développement de la télémédecine auprès des hospitaliers et des libéraux.

La loi HPST définit la télémédecine comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’Information et de la Communication (TIC) » et reconnaît cinq actes spécifiques :

- la téléconsultation,

- la télé-expertise,

- la télésurveillance médicale,

- la télé-assistance médicale,

- le téléconseil du centre 15.

La télémédecine constitue ainsi un sous-ensemble de l’e-santé, elle-même définit comme l'utilisation des TIC, en particulier l'Internet, pour améliorer la santé ou permettre l’accès aux soins : ce qui comprend entre autres la télésanté (accès à un médecin), le télésoin (accès à un professionnel de santé non médical) et la cybersanté (utilisation sécurisée et économiquement avantageuse de technologies de l'information et de la communication en appui à la santé).

 


La télémédecine : l’abolition des distances au service de l’aménagement du territoire

Le domaine de la télémédecine recouvre différents services qui ont pour spécificité de transcender les distances et les frontières. Son organisation spatiale multiscalaire est fonction de leur degré de spécialisation et de leur rareté : elle s’inscrit du domicile du patient, au cabinet médical (premier recours), à l’hôpital ou la clinique de proximité (second recours) jusqu’au centre de pointe situé dans les grandes villes du monde (troisième recours), voir graphique ci-dessous. S’appuyant sur la mise en complémentarité des compétences, la télémédecine vise une meilleure coordination des professionnels de santé pour une offre de soins adaptée aux besoins des patients (maintien à domicile, éviter les déplacements inutiles).

En soutenant ces pratiques, l’objectif des pouvoirs publics est d’optimiser le temps des ressources médicales et paramédicales, la cohérence des parcours de soins et un meilleur suivi et recours aux expertises.

RAYNAUD J. (2015), Inégalités d'accès aux soins en France : Acteurs de santé et territoires, Economica Anthropos, Paris, 192 p. Préface d’Antoine Bailly.

 


Les services de télémédecine peuvent également constituer un outil de l’aménagement du territoire en favorisant le maintien d’une présence médicale sur des territoires ruraux. En Lozère, où la population est dispersée sur le département, le Conseil départemental a financé un réseau de visioconférences ainsi qu’un système de partage des informations entre les médecins urgentistes et le Service d'Aide Médicale Urgente (SAMU) permettant d’améliorer l’efficacité de l’offre de soins. Dans l’Ain, la département a inauguré la première cabine de téléconsultation en ligne en novembre 2020 et quatre autres sont prévues en février 2021. Ailleurs, les autorités sanitaires des Baléares ont créé le programme de « télé-AVC » qui dispense soins et traitements afin de sauver des vies dans les zones reculées de l’archipel. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les premières études montreraient que l’efficacité et la sécurité des soins seraient comparables aux soins fournis en face-à-face concernant l’aspect technique des actes.

 

Pourquoi la télémédecine n’est-elle pas davantage répandue ?

La stratégie du Président de la République « Ma santé 2022 », concrétisée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé donne la priorité à l’investissement dans les outils de coordination des soignants, au développement de solutions informatiques intégrées et réaffirme le rôle majeur de la télémédecine. Elle définit notamment une nouvelle pratique, le « télésoin », qui met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux, en complément de la télémédecine réservée aux professions médicales. Le texte adapte notamment le cadre légal existant afin d’assurer le déploiement de la télémédecine et des télésoins.

Cependant, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, peu de projets sont maintenus après la phase expérimentale. Les obstacles sont techniques, technologiques, juridiques, économiques et sociaux. Le principal frein technique est la faible couverture numérique du territoire. En 2017, près de 8 millions de français (11%) ne seraient pas éligibles à une connexion Internet supérieure à 3 Méga bits par seconde (2). Sans surprise, les communes de moins de 1 000 habitants sont les plus touchées : elles comptent plus d’un tiers des habitants qui n’ont pas accès à un Internet de qualité, or elles représentent près de 75 % des communes françaises et 15 % de la population. Cependant, le rythme très soutenu du déploiement des réseaux FttH dès l'année 2019, avec un record de 4 millions de prises pour le déploiement de la fibre optique en France, permet d’envisager une couverture de 80% du territoire d'ici fin 2022.

D’autre part, les politiques publiques doivent assurer la protection de la vie privée des patients à travers la confidentialité lors du transfert, le stockage et partage des données personnelles, le consentement du patient, la traçabilité de chaque acteur, etc. La responsabilité juridique entre les professionnels de santé, les établissements de soins et les entreprises fournissant la technologie, doit également être clarifiée. Du point de vue technologique, les systèmes utilisés sont complexes et il existe un risque de dysfonctionnement logiciel et matériel pouvant nuire aux patients. Cependant le principal obstacle à la communication de données est le manque d’interopérabilité des systèmes informatiques et des applications. 

Sur le plan économique, le financement très onéreux des équipements et services ainsi que le manque d’études concernant la rentabilité, constituent un frein au déploiement de la télémédecine et à l’investissement en recherche et développement. De plus, les organismes d’assurance maladie obligatoire sont réticents à l’idée d’élargir le périmètre des soins remboursables à ces nouvelles catégories de services dans le contexte d’objectif de maîtrise des dépenses (3). Enfin, d’un point de vue culturel, la communauté médicale exprime ses craintes d’un renforcement de la standardisation des pratiques. Dans ce contexte, la télémédecine se développerait davantage dans les centres hospitaliers qu’auprès des professionnels libéraux (4).

 


Le recours massif à la téléconsultation lors la crise de la Covid-19

La crise de la Covid-19 a conduit les acteurs de la santé à se coordonner et à proposer des innovation en matière de prise en charge des patients. À l’occasion du 2ème anniversaire du remboursement de la téléconsultation en France, l’Assurance Maladie a observé un recours massif à cette pratique, devenant ainsi une composante essentielle de l’offre de soins sur le territoire.

En effet, 19 millions de téléconsultations ont été facturées en 2020, tous types de prescripteurs inclus soit environ 5,4% de l'ensemble des 319 millions d'actes contre seulement 0,1% du total avant la crise. Au premier semestre 2020, le nombre de téléconsultations est passé de 40 000 actes par mois à 4,5 millions en avril. Au moment du confinement, la téléconsultation représentait une consultation sur quatre. Et si leur nombre a reculé durant l’été (un million par mois), la crise de la Covid a permis une diffusion massive de cette pratique tant auprès des médecins (la moitié d’entre eux y ont recours, soit 60 000) que des patients (de tout âge puisque 1 sur 5 a plus de 70 ans).

Cependant, aucune étude n’a encore permis de savoir si le recours à la télémédecine a été plus important dans les territoires dont l’offre de soin est déficitaire.

 


Et après la crise ?

En créant des mesures dérogatoires pour faciliter l’accès à la télémédecine (remboursement à 100%, possibilité de faire une téléconsultation par téléphone pour les patients vivant en zone blanche), le gouvernement a favorisé son essor. Mais en septembre 2020, la téléconsultation ne représentait plus que 3% des consultations.

Ainsi, il n'est pas encore certain que la tendance se maintienne après la crise sanitaire. Les autorités de santé comptent désormais sur les soignants pour que cette pratique leur soit quotidienne. Pour cela, les négociations conventionnelles joueront un rôle important à travers l'assouplissement du cadre de la téléconsultation, de la téléexpertise, l'extension à d'autres métiers (sages-femmes, dentistes, etc.) et l’amélioration du cadre pour développer la télésurveillance.

 

 

Que pensent les français et les médecins de la télémédecine ?

Patients et médecins expriment de moins en moins de réticences face à la téléconsultation. Avant le confinement, en janvier 2020, 68% des Français se déclaraient favorables (78% chez les moins de 35 ans) (5). En juin-juillet 2020, après le premier confinement, 79% des français et 75% des médecins s’estimaient satisfaits de la télémédecine (6).

La technique est la première cause de satisfaction comme d’insatisfaction des usagers. Près de 70% des médecins, patients et infirmiers estiment que la télémédecine a permis de bien mieux gérer la crise sanitaire et le confinement. Elle a ainsi démontré son utilité et s’est rendue indispensable en s’intégrant non seulement dans la pratique professionnelle des médecins mais aussi des autres professionnels de santé (sage-femme, infirmier, orthophoniste, orthoptiste, masseur-kinésithérapeute et pédicures-podologues).

De même, 70% des français considèrent qu’elle est un moyen efficace de reconnecter les territoires en situation de déserts médicaux. Ainsi, les deux tiers des Français et les trois-quarts des soignants souhaitent que les pouvoirs publics investissent davantage dans l’usage de la télémédecine.

 


L’essor de la téléexpertise et de la télésurveillance médicale

Récemment, la Haute Autorité de Santé (7) a encouragé le développement de la téléexpertise (l’avis d’experts à distance) dans le cadre de la crise de la Covid-19 afin de proposer une offre dans tous les territoires : à la fois en amont de la prise en charge Covid (éviter une hospitalisation non nécessaire) et en aval de la prise en charge (fluidification des filières d’aval). Ainsi, cinq champs de la téléexpertise sont à mettre en place par les ARS et les établissements de santé dans le cadre du rebond épidémique : les astreintes pneumologie, maladies infectieuses et tropicales, gériatrie, soins palliatifs et médecine physique et réadaptation. Le dispositif doit permettre le recours téléphonique à un avis expert dans chacune des spécialités pour les professionnels médicaux du territoire (libéraux, exerçant en établissement de santé ou en établissement médico-social).


De même en décembre 2020, la HAS a présenté un état des lieu de la littérature internationale en matière de télésurveillance médicale (8). Les études analysées ont permis de mettre en évidence plusieurs résultats similaires : une amélioration de la coordination des soins qui se construit autour d’un outil numérique, le rôle primordial des acteurs y compris des patients, des changements organisationnels induits et des enjeux liés à la gestion des données. La télésurveillance n’est efficace que si elle permet d’aider les utilisateurs à mieux travailler ensemble, elle répond ainsi à une volonté d’échange. Son déploiement repose sur un modèle économique favorable afin d’accompagner de telles évolutions qui prennent en compte à la fois la solution technique et les changements de pratique pour les acteurs impactés.

 

 

La rupture du système de santé induite par les TIC et le rôle du médecin de demain

Ainsi, les TIC transforment nos sociétés et visent à améliorer l’accès, la qualité et l’efficience des soins. La crise sanitaire actuelle a déclenché un recours massif à la télémédecine, encouragé par des mesures dérogatoires du gouvernement. Des freins ont été levés et les réticences des patients et des médecins face à ces nouvelles pratiques cèdent la place à un certain enthousiasme. Pour poursuivre son développement et dépasser les phases expérimentales, la télémédecine devra notamment intégrer les souhaits des médecins en matière d’exercice de la médecine et s’adapter aux spécificités de chaque territoire.

Il est fort probable que les nouvelles technologies de l’information et de la communication induiront une véritable rupture du système de santé dans la prochaine décennie (9). A l’heure où les patients s’émancipent dans la gestion de leur santé et où les solutions web peuvent servir à des diagnostics et des traitements plus performants, quel sera le rôle du médecin de demain ? Au centre du système de santé, le médecin pourra établir une relation de confiance et de conseil avec le patient dans le colloque singulier de la consultation. Il pourra s’appuyer sur ses connaissances, son expertise et la contribution des nouveaux outils de l’e-santé. Ces nouveaux usages et comportements posent de nombreuses questions auxquelles l’ensemble de la société devra répondre, entre préservation des libertés et régulation : l’algorithme va-t-il remplacé l’échange en face à face ? Pourra-t-on assurer une égalité d’accès à ces technologies de pointe ? Va-t-on vers une « uberisation » de la santé avec des plateformes de télémédecine en ligne ? Allons-nous intégrer les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) dans notre système de santé ou les géants chinois ? Devons-nous craindre ces bouleversements ou nous en réjouir ?

 

 

1) Gallois, F. & Rauly, A. (2020). La gouvernance de la télémédecine face à l’organisation libérale des soins. Marché et organisations, 2(2), 37-60.
2) Enquête UFC Que Choisir en 2017
3) Nys, J. (2020). La télémedecine, simple évolution ou véritable révolution des usages dans le système de santé français ?. Marché et organisations, 2(2), 15-36.
4) Gallois, F. & Rauly, A. (2020). La gouvernance de la télémédecine face à l’organisation libérale des soins. Marché et organisations, 2(2), 37-60.
5) Enquête Harris Interactive, janvier 2020
6) Le Baromètre Télémédecine de l’Agence du Numérique en Santé (ANS), Vague 3, Odoxa, juin- juillet 2020
7) Fiche annexe n°7 : Encourager le développement de la téléexpertise pour les patients Codid-19 (HAS, novembre 2020)
8) HAS, décembre 2020, Évaluation économique de la télésurveillance pour éclairer la décision publique. Quels sont les choix efficients au regard de l’analyse de la littérature ?
9) Nys, J. (2020). La télémedecine, simple évolution ou véritable révolution des usages dans le système de santé français ?. Marché et organisations, 2(2), 15-36.