Une approche novatrice et récente mérite un focus appuyé afin de prouver par l’exemple que les différentes définitions et représentations statistiques dominantes ne traduisent pas la réalité et vont même à l’encontre des attentes des Français. Il s’agit du travail mené au sein du mouvement des “Nouvelles ruralités” à l’initiative d’une trentaine de départements, dont la Haute-Saône, et confié à l’Institut Médiascopie : “Les mots des nouvelles ruralités” (2014).

Il ne s’agit pas d’un sondage s’intéressant à l’opinion qui par nature est volatile. Il se focalise sur les représentations des Français via les mots qui mobilisent leur champ de représentation. Les mots permettent de capter les représentations sensibles et plus ou moins profondes des individus. Ils mettent aussi en mouvement la population parce que le mot est le début du passage à l’acte. Ainsi, 805 personnes “représentatives” (402 personnes habitant dans une commune rurale et 403 personnes habitant dans une métropole) ont eu à exprimer en ligne leur représentation pour chacun des 186 mots décrivant le rural, qui avaient été sélectionnés au préalable à partir de publications d’experts et de déclarations d’élus ou de professionnels.

Pour chacun des 186 mots, la personne est appelée à exprimer sa représentation sur deux plans en notant sur une échelle de 0 (très négatif) à 10 (très positif) :
1/ son ressenti général sur le mot (par exemple, pour le mot “tourisme rural”, une note de 8 soulignerait une représentation très positive de la personne sur ce thème) ;
2/ son avis sur l’importance ou non que les pouvoirs publics en fassent une priorité (par exemple, pour le mot “tourisme rural”, une note de 1 voudrait dire que la personne ne pense pas que le tourisme soit une priorité d’action des pouvoirs publics pour l’avenir du rural).

Au final, les 186 mots ont chacun deux notes moyennes qui les situent sur un graphique, lequel permet de tirer des enseignements assez forts en termes de tendances :

- La ruralité est globalement très bien perçue et ressentie par les personnes interrogées : 160 des 186 mots tests sont au-dessus de 5/10 dans le jugement positif/négatif et quasiment à chaque fois l’intervention des pouvoirs publics est jugée comme prioritaire sur des sujets jugés positivement : santé, qualité de vie, produire local… Ce jugement positif global est aussi partagé tant par les ruraux que par les habitants des métropoles : autrement dit, les sujets qui font la ruralité plaisent aux Français et les pouvoirs publics sont invités à s’y intéresser !

- La définition du rural pour les personnes interrogées a changé : elles sentent que nous sommes passés du monde ancestral paysan à un rural en connexion avec la ville mais qui doit être protégé et valorisé en contre-pied des métropoles, perçues plus négativement comme froides, lointaines, abstraites.

- Une opportunité apparaît en pleine lumière et à travers plusieurs thèmes, il s’agit du retour en grâce du local ! Il y a même un amalgame entre rural et local. Il est plébiscité dans plusieurs domaines : produire et manger local, travailler local, défendre le patrimoine local… Même les institutions (État, collectivités locales…) souvent décriées en ce moment retrouvent un jugement positif pour les communes et les départements comme échelons de référence du rural car ils représentent un ancrage rassurant dans le processus de mondialisation.

- Des représentations positives font unanimement consensus, traduisant ainsi des atouts, voire des valeurs : la nature, la qualité de vie, le lien social, les relations humaines… Ces représentations de la ruralité sont également à mettre en lien avec l’approche politique nationale qui, depuis des décennies, met surtout en avant des chiffres : réduire le déficit budgétaire national annuel à 3 %, baisser d’un point le taux de chômage, gagner un point de PIB… Les Français ne se retrouvent pas dans cette sémantique. Au plus profond de leur représentation de la ruralité, ils rejettent ce discours froid et mécanique.

- Des représentations plus négatives font également l’objet d’un consensus, identifiant un certain nombre de handicaps : désertification médicale, fermeture des commerces de proximité, insuffisance des transports en commun, difficultés d’accès à l’emploi, chômage (d’où une demande forte d’insertion professionnelle des jeunes adressée aux pouvoirs publics)…

- Une contradiction essentielle apparaît également : les personnes interrogées souhaitent une redynamisation, y compris les habitants ruraux (note globale 6/10), mais ces derniers émettent de nombreuses réticences quant à un risque de dénaturation et de transformation de la ruralité, qui pourrait se faire par l’arrivée de nouveaux habitants notamment des jeunes (note de 7/10). Mais en même temps, ils se montrent frileux devant l’installation de citadins, de néo-ruraux ou d’étrangers ; on touche ici du doigt un trait de caractère du rural, central pour son avenir : il doit s’ouvrir à l’autre au lieu de se replier sur un “entre-soi”. Le discours des maires ruraux est parfois ambigu sur ce point, estimant qu’il faut valoriser et moderniser la campagne, mais pas trop car il ne faudrait pas qu’elle soit envahie par des hordes de nouveaux habitants et qu’elle se trouve ainsi dénaturée et détruite ! Ce constat demande un travail pédagogique fort qui englobe aussi la juste mesure du développement durable pour le rural.

- La ruralité devrait être le lieu pour expérimenter (l’idée de “laboratoires de la démocratie locale et participative” est bien perçue) avec la perspective de trouver un équilibre entre l’urbain et le rural (note globale de 6,5/10). On perçoit bien à travers cet exemple, ou plutôt ce contre-exemple, que les représentations dominantes techno-administratives et statistiques ne sont pas du tout en phase avec les représentations des Français. Ce qui interpelle surtout est le constat que pour les Français le rural apparaît comme un potentiel, certes avec des défis à relever, tandis que du côté de l’idéologie technocratique dominante il est davantage perçu comme une charge !

Et si on essayait de prendre une troisième voie féconde pour son avenir ?