L’accès aux soins dans les territoires ruraux est devenu ces dernières années un sujet majeur et symbolique du sentiment de délaissement des Français. Selon les sondages, on recense environ 75 % de Français qui considèrent qu’il est prioritaire de lutter contre la désertification médicale en milieu rural. On passe même à 89 % pour les habitants de la Nièvre, à 86 % pour ceux de Saône-et-Loire et de Haute-Saône ou encore 85 % pour les Jurassiens. C’est peu dire que ce sujet inquiète et nourrit la crainte de la constitution progressive d’un “tiers-monde médical rural”. D’autant plus que ce sentiment est aujourd’hui pleinement validé par les enquêtes officielles : ce n’est pas une vue de l’esprit ou une déclinaison du “c’était mieux avant”. La dernière étude d’ampleur menée sur une année auprès de 21 700 personnes et publiée le 8 octobre 2018 par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) ne laisse planer aucun doute. L’accès aux soins recèle de très fortes disparités, notamment sous l’angle des délais d’attente selon les professions (médecins généralistes, radiologue, pédiatre, dentiste…), et dessine une France à plusieurs vitesses.

L’étude montre clairement que “plus la densité de médecins est faible, plus les délais sont longs. Pour une demande de rendez-vous sur deux chez un ophtalmologue à Paris et sa proche banlieue, le délai d’attente est de 29 jours contre trois fois plus (97 jours) dans les petits ou moyens pôles ruraux. C’est dans les couronnes rurales des grands pôles, dans les communes horsinfluence des pôles urbains que l’accessibilité aux médecins est la plus faible et que les délais d’attente sont parmi les plus longs.” Elle souligne aussi que les longs délais d’attente de rendez-vous peuvent générer un renoncement aux soins dans ces zones rurales. Parallèlement, la question de la démographie médicale est de mieux en mieux cernée au niveau des ressorts expliquant son évolution. Le corps médical était jusqu’alors constitué majoritairement d’hommes (80 % chez les médecins de plus de 55 ans) exerçants seuls, alors que la nouvelle génération s’est largement féminisée (chaque année, plus de 70 % des nouveaux diplômés sont des jeunes femmes). Cette nouvelle génération de médecins souhaite travailler au sein de cabinets de groupe afin de rompre l’isolement, de mieux partager leur expertise tout en se ménageant une vie sociale moins contrainte.

L’équation à résoudre n’est pas simple et de nombreux territoires ruraux essaient d’agir. À ce titre, la mission du plan d’accès aux soins soulignait en octobre 2018 que “c’est à partir des territoires fragiles que s’inventent les soins de proximité de demain, les acteurs y font preuve d’une réelle inventivité et ont besoin d’être accompagnés pour que leurs démarches se pérennisent”. Ces solutions innovantes qui émergent sont bien souvent le fruit d’un partenariat de qualité entre les élus locaux, les professionnels de santé et les autres acteurs concernés. L’État semble avoir entendu ce message puisque le président de la République a lancé le 18 septembre 2018 un plan santé qui vise à transformer notre système de santé avec une priorité faite à la proximité. Le principe de base est que tous les professionnels d’un territoire “travaillent ensemble et portent une responsabilité collective vis-à-vis des patients de leur territoire” avec la fin de l’exercice isolé programmé d’ici 2022 au profit d’un exercice coordonné à l’échelle d’un territoire via les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui doivent faire le pont entre les établissements de santé, notamment les hôpitaux de proximité, et le secteur médico-social.

Tous les professionnels d’un territoire (médecins, pharmaciens, sages-femmes, infirmiers, masseurs-kiné…), qu’ils soient salariés ou libéraux, devront s’organiser pour répondre aux besoins de soins de la population. Ce plan prévoit aussi la création d’un label “hôpitaux de proximité”, la création dans les territoires peu denses de 4000 assistants médicaux subventionnés par l’assurance-maladie, à la fois soignants et secrétaires, qui allégeraient diverses tâches chronophages des médecins (déshabillage et rhabillage pour les nourrissons et les personnes âgées, recueil de diverses indications administratives et sanitaires : la taille, le poids, la vue, la prise de tension, un renouvellement d’ordonnance…), sous la surveillance du médecin et le financement de 400 médecins généralistes à exercice partagé ville/hôpital, salariés des centres hospitaliers de proximité ou centres de santé situés dans les déserts médicaux.

Enfin, pour être complet, il convient d’ajouter que, depuis le 15 septembre 2018, la téléconsultation médicale est remboursée par la sécurité sociale à tous les patients (la télé-expertise sera réservée à certains malades). Un cadre légal pérenne a enfin été posé en accord avec la profession médicale. On sait que dans le cadre d’un parcours de santé coordonné, cette réponse technique et organisationnelle ouvre des perspectives intéressantes quant aux inégalités d’accès aux soins en milieu rural.

L’État a donc répondu très récemment à un des sujets de préoccupation majeure des Français dans les espaces ruraux. Nous faisons le pari qu’il faut continuer à expliquer aux patients et aux citoyens ces évolutions de fond dans leur prise en charge médicale, mais qu’il convient également d’aller plus loin encore vis-à-vis des professions médicales en les liant davantage avec les territoires ruraux et leur avenir. Cela passe bien sûr par l’amélioration nécessaire de leurs conditions d’exercice mais cela implique aussi de les réguler davantage dans les zones peu denses, sans que naissent des concurrences contre-productives entre territoires sous dotés. Trois dispositions doivent permettre de mettre en oeuvre cette orientation :

- 1re disposition : contraindre les agences régionales de santé (ARS) à définir de manière rigoureuse et ambitieuse une organisation rurale en trois types de pôles de santé par des cahiers des charges précis sur le nombre de disciplines et compétences réunies, la présence d’une ressource dédiée assurant la gestion et l’administration du collectif, l’obligation d’un partenariat avec un hôpital de proximité, l’équipement en télémédecine, une liaison en fibre optique, la présence de disciplines paramédicales. Ainsi, les maisons médicales de demain devront se fonder sur trois piliers : le lien humain, le digital et la performance. Sur cette base, chaque département conseillé par l’ARS devrait élaborer un schéma départemental des pôles de santé pour organiser et financer une couverture médicale ambitieuse y compris en étendant les missions des officines de pharmacie compte tenu de leur excellent maillage territorial. Ces dernières pourraient constituer des portes d’accès pertinentes de téléconsultation à la vaccination, au renouvellement de certains traitements et de prise en charge de certaines pathologies bénignes (ce qui n’est pas possible à ce jour).

- 2e disposition : rendre obligatoire (et non plus volontaire) la conclusion de CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) dans un délai de deux ans dans les zones rurales et en y associant les structures sanitaires, sociales et médicosociales qui assurent la prise en charge de certaines pathologies souvent au domicile des patients.

- 3e disposition : réguler davantage les conditions d’exercice des professions médicales en instaurant rapidement un mécanisme visant à assurer une présence suffisante de médecins généralistes dans les zones peu denses via deux dispositifs complémentaires : le premier qui limite les conventionnements là où la démographie médicale est excédentaire par rapport aux besoins de la population et le deuxième qui bonifie de 10 euros la consultation de médecins généralistes en zones peu denses. Au final, le principe de liberté d’installation demeure mais le conventionnement s’adapte à la démographie médicale. Ce sujet très sensible commence à être évoqué par les professionnels médicaux eux-mêmes car ils sentent bien la pression de l’opinion publique qui, selon les sondages récents, s’exprime à près de 80 % pour obliger les médecins à s’installer dans les déserts médicaux. Il faut revenir à la base de la mission de santé publique et clarifier les règles du jeu avec les organisations syndicales représentants les étudiants et les médecins pour aboutir à des modalités efficaces évitant les postures individualistes et corporatistes. Il en va de la qualité des relations futures avec les patients qui vont finir par se retourner violemment contre les professionnels de santé dans les territoires ruraux !