Quand on se penche sur les différents arguments développés par les “pros” ou les “antis” communes rurales, que ce soit des élus, des chercheurs ou encore des médias, ce qui frappe est l’amalgame qui est fait entre la commune comme échelon de l’organisation administrative avec bien sûr son maire et son conseil municipal et le village au sens de la communauté humaine villageoise qui, nous l’avons vu, est en évolution forte et constante par rapport au village d’antan.

Parmi de nombreux exemples, un très bon article de vulgarisation du journal Le Monde en 2016 intitulé “La fusion des communes rurales prépare une nouvelle fracture territoriale” met en lumière assez justement les mécanismes qui se jouent autour de la création des communes nouvelles en Bourgogne-Franche-Comté. Cet article commet selon nous une seule faute, mais elle est majeure et fonde une erreur d’analyse fondamentale couramment répandue,
lorsque l’auteur écrit : “La création du statut de commune déléguée est un palliatif destiné à endormir provisoirement tous ceux qui refusent de voir mourir leur village.” C’est en réalité cette affirmation couramment exprimée qui est le ferment du blocage pour une évolution construite, solide et sereine du monde rural, dans la mesure où elle se fonde sur une double erreur d’analyse :

1/ Elle relie le village et le statut de commune déléguée qui provoquerait de fait le déclassement du village qui “avant était une vraie commune, une commune à part entière”. Sans se lancer dans le statut du “maire délégué” qui entrera en vigueur en 2020 et les mécanismes de coopération possibles au sein d’une commune nouvelle, il convient juste de revenir à la définition simple issue de nos cours de géographie au collège pour s’apercevoir que le village n’est pas la commune et inversement. Le village (ou la ville quand il y a plus de 2000 habitants) est un groupement de population dans un espace bâti en continu.La commune est une division administrative du territoire français (Mon guide au collège, 2008). Il est vrai qu’à la Révolution les communes ont souvent été créées sur la base des regroupements spatiaux de population, mais nous avons montré que ce n’est pas toujours le cas. Il faut donc sortir de cette logique où l’on considère que la commune au sens administratif s’apparente à la communauté villageoise au sens de la population. D’ailleurs, de nombreuses communes sont, depuis le début du XIXe siècle, constituées de plusieurs villages.

Dans le cas contraire, on comprend mieux qu’en questionnant ce niveau administratif historique se font entendre de grands cris quant à la destruction du lien social ! La position des associations de maires qui, nous l’avons vu, mettent en avant le rôle de conseiller, d’assistant social voire de défouloir du maire rural s’explique par cet amalgame. Ce rôle est certes essentiel pour tout ce qui “fait société” mais doit-on conserver un maire et une entité administrative qui ne serviraient plus qu’à cela, comme le prônent ceux qui veulent vider les communes des autres compétences ? La question doit être posée en ces termes, ce qui serait plus juste et surtout plus pertinent quant aux réponses à apporter.

2/ Elle implique une vision dichotomique entre d’une part de gentils acteurs locaux de la société civile qui refuseraient de voir mourir leur village et d’autre part des maires et conseillers municipaux qui seraient des “vendus” à la cause du regroupement qui impliquerait la disparition de leur village. Ce n’est pas sérieux !

 

L’intercommunalité, aujourd’hui comme hier, fait débat. Elle doit évoluer, notamment dans ses bases démocratiques, mais personne ne niera que dans le monde rural elle a, en très peu de temps, fait progresser considérablement les coopérations, les mentalités des forces vives locales et la vision bien au-delà du mourir à petit feu via des artifices administratifs. Nous sommes issus du terrain et nous l’avons très largement parcouru aux niveaux national, régional, départemental et local. Il n’existe pas, chez les élus locaux, municipaux ou intercommunaux, une volonté de voir mourir sa commune ou son territoire.

Le politologue Stéphane Cadiou (2009) apporte un complément d’analyse fort pertinent pour sortir de cet amalgame entre la commune au sens administratif et le village au sens communauté humaine. Il souligne que l’échelon intercommunal est quasi exclusivement resté à ce jour aux mains des élus et des interlocuteurs les plus prédisposés à dialoguer avec eux : les chambres consulaires, les chefs d’entreprises, les aménageurs… Le problème tient principalement au fait que la société civile (classiquement, comité de quartiers, associations de parents d’élèves, de commerçants…) est encore souvent structurée au niveau du village, au sens humain du terme, et pas au niveau intercommunal.

Cette absence de structuration intercommunale de la société civile ne lui permet pas d’exercer un rôle de contre-pouvoir et surtout de force de proposition face aux élus et aux forces économiques, par exemple pour peser sur un projet d’équipement ou d’aménagement. Plusieurs formules naissent en milieu rural, sous la forme de rencontres ou forums annuels des associations du territoire communautaire. On voit bien que les plus grosses associations du territoire se mobilisent mais qu’il est compliqué de faire venir les plus petites, celles dont l’assise est plutôt communale. Les visiteurs ne sont pas toujours aussi nombreux que souhaités au rendez-vous. Nous croyons fortement à ce tissu associatif car il part de l’humain et du lien entre les individus. Il faut donc trouver des formules qui réussissent mieux.

Dès lors, faut-il aider la société civile à se structurer à l’échelle intercommunale avec des communautés de communes plus petites pour laisser une capacité d’initiative aux associations communales ou plutôt les maintenir dans une forme d’organisation à l’échelle d’un ou de quelques villages tout en leur dédiant des espaces de rencontres et de dialogue avec les représentants de la société civile des autres villages de l’intercommunalité ? Au regard des expériences accumulées, nous penchons clairement pour cette deuxième solution.

Parallèlement à ces retours d’expérience du terrain et en parcourant les travaux de recherche en droit et en géographie sociale et humaine, on identifie deux grands champs qui se sont en fait très peu interpénétrés. D’un côté, le droit administratif se penche sur notre organisation administrative (caractérisation des découpages, leurs évolutions historiques, les statuts qui s’y rattachent…) de l’autre, la géographie s’est emparée depuis les années 1980 de la problématique des recompositions territoriales (morphologie des différentes occupations des sols mais aussi définition du concept de territoire, analyse des démarches de développement local et de recomposition des espaces politiques…) Autrement dit, les géographes trouvent trop aride et statique l’analyse de notre organisation administrative. Les juristes se concentrent davantage sur la définition des découpages et leurs constantes dans l’histoire que sur les formes nouvelles et souples de gouvernance locale. Nous voyons bien que les deux sont en tension et qu’une analyse croisée et interactive est absolument essentielle pour sortir des oppositions stériles et des crispations sémantiques qui empêchent d’élaborer des solutions au profit de l’avenir du monde rural.